• À Laval, Marc Girard ou l’œil du passant

     Jean-Claude Leroy

     

    © Marc Girard Chaque seconde s’avale et se révèle, s’écoute et se peut traduire. Lui est toujours aux aguets, chasseur du moment qu’il sait traverser sans froisser, apprivoiser sans forcer, comme initié d’instinct aux arts de la sagesse. Musicien, luthier, poète, navigateur, jardinier, cueilleur, ses connaissances sont aussi lointaines que spontanées, profondes qu’épidermiques, sauvages que savantes. L’art de savoir est inquiétude, éveil, coïncidence. Chacune des multiples rencontres journalières entre l’œil et l’instant, la main qui écoute et la forme qui pense, s’inscrit chez lui de grâce dans un déséquilibre vital où l’on ne s’endort jamais. De là naissent des témoins à peine apparents, qui ne pèseront jamais. Ils sont reflets, serrures ou ressorts, êtres dévoilés, sans identité ni commune mesure, intarissables et silencieux. On les appelle aussi : tableaux.

    Naïf, réaliste, brut, mystique, onirique ou fantaisiste… Marc Girard échappe aux étiquettes. C’est-à-dire qu’une seule ne saurait lui suffire. Quand on lui pose la question, il se définit moins comme artiste que comme… passant. Et passeur en même temps que passant, car Marc Girard traduit volontiers des signes qui n’en sont pas encore, mais aussi bien il réveille des images qu’on croit connaître, pour les proposer dans ce qui fut peut-être leur magnétisme initial. Ces images-là sont déclinées en œuvres données à voir, des œuvres non pas énigmatiques, comme on pourrait le croire, mais des peintures juste regardantes, morceaux d’une vision qui pourrait être la vision libérée de chacun de nous, si nous la laissions faire.

    Marc Girard échappe donc au statut d'artiste. Mais pas toujours. Certaines saisons, un rendez-vous s'imposant à lui, il échappe à son échappement. C’est pour nous l’occasion la meilleure de voir où et comment il passe. Il a posé des peintures sur des murs, c’est une exposition.

    Ce fut par exemple une exposition initiale à l’Atelier, à Mayenne en 2000. Pour la première fois, le peintre © Marc Girardproposait une mise en abyme du lieu où les œuvres avaient à se montrer. L’espace où sont peintes les toiles est lui-même le sujet du tableau. Effet saisissant que ces grandes fenêtres qui approfondissent les murs par réflexions, plongées et contre-plongées. À l’École-Galerie de Fontaine-Daniel, ou plus récemment à la Maison rigolote, lieu d’exposition lavallois, il reprit ce principe qui consiste à peindre les toiles in situ. À occuper d’abord le lieu le temps nécessaire à la gestation et à la naissance des œuvres et de leur ensemble. C’est à chaque fois se livrer à une expérience, à chaque fois une mise à nu du travail de l’œil du peintre. Qu’a-t-il vu ? Que voit-il ? Que cache-t-il ? Où se cache-t-il ?

    Et quand Marc Girard s’abandonne à l’imagination, c’est pour un jeu avec l’équilibre, si l’on s’en tient à la physique. Ou avec la pesanteur. Les paysages apparaissent suspendus et perméables. Les pierres s’empilent en plein désert ou en rivière, messagères d'un autre temps. Les miroirs se réfléchissent à égalité, quand le peintre est ambidextre. Et les corps couchés sont aussi des maisons qu’on traverse. Ou des... gisants satisfaits, selon la formule de Joyce Mansour. Corps en lévitation dans un habitacle dortoir ou tombeau, condition humaine du condamné à demeurer, à ne pas se diriger seul. À mourir en même temps que vivre.

    À Laval, en ce mois d'octobre, Marc Girard propose une large exposition intitulée « Jonas en ce jardin », jardin public de La Perrine en l'occurrence, surplombant la Mayenne et une bonne partie de la ville. On y trouve l'espace Alain Gerbault, et surtout la tombe du « gentil » Douanier Rousseau avec l'épitaphe de son ami Guillaume Apollinaire. Le peintre Barbâtre, enfant, fut familier de ce jardin, et s’étonnait l’an dernier de retrouver si majestueux, longtemps après, quelques fiers séquoias de sa connaissance. Les promeneurs du dimanche sont nombreux, et beaucoup franchiront, curieux, la porte du Musée-École.

    © Marc GirardD’un caractère rétrospectif, quoique faisant inévitablement l’impasse sur des périodes passionnantes1, cette exposition de Marc Girard donne à voir des peintures datant de 1993 jusqu’à aujourd’hui. Dans sa présentation pour la presse, le passant annonce la couleur  : « Il y a des rujms, des figures d’un Eden enfoui, des intérieurs au réalisme cru, des corps flottés, lévitant. » Et nous précise, éclairant le titre qu’il a choisi pour cet accrochage : « Toute cette imagerie se voudrait la fantasmagorie d’un peintre-Jonas dans un musée-école qui serait pour un temps sa baleine. » C’est, pour le visiteur impromptu du jardin-océan, l’occasion de découvrir le travail d’un peintre rare, en dialogue avec la matière vibrante, la vie secrète, aux yeux de tous.

    Marc Girard, « Jonas en ce jardin », exposition rétrospective qui se tient au Musée-école de La Perrine, à Laval, du 6 octobre au 28 octobre 2018.

    jcl (octobre 2018)

     

    1) Je songe ici, par exemple, aux nombreuses expositions proposées par Marc Girard au Musée-école de Fontaine-Daniel (près de Mayenne) depuis les années 2000, dont une très remarquable série de peintures effectuées à l'intérieur de l'usine de textile.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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