• À propos de (suite)

    Denis Schmite      Claude Esnault 

    - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
    Mon ami le poète « perlaborateur » eut un jour une idée, poursuivis-je encore car j’étais particulièrement en verve ce jour-là, une idée parmi tant et tant d’autres, mais qu’il abandonna très vite car on n’a jamais le temps de tout faire et puis, et puis...Bref ! Une idée parmi tant et tant d’autres, mais une très belle idée. Il avait envisagé de reprendre un texte qu’il avait mis en actes, bien des années auparavant, dans sa boîte noire de la ville festivalière devenue depuis, comme je l’ai indiqué, la Sodome spectaculaire, la ville pas la boîte noire ! Tout tournait autour de la Gradiva de Jensen telle que Freud avait pu s’en saisir pour aborder le domaine des rêves et des fantasmes, en littérature...et en général. Je me souviens. Sylvie, comédienne au pied léger, circulait au milieu de tout un tas de meubles étranges et volumineux qu’elle caressait et effeuillait comme Salomé ses voiles, légers comme son pied les voiles, une Salomé/Gradiva qui n’aurait pu laisser Freud indifférent, lui qui l’aimait tant Lou (). De sa voix hypnotique, Sylvie disséminait les phrases très belles que mon ami, le poète, avait ciselées pour elle, comme d’un léger souffle les graines d’un pistil de pissenlit, tandis qu’elle démontait très lentement les meubles/inconscient, un gras fauteuil avec plein de tiroirs sur les côtés, une lourde armoire aux étagères encombrées de plein d’objets, eux aussi sujets à désarticulation, l’inévitable divan me semble-t-il, enfin le divan évidemment, et puis, après avoir lié les bouts de choses avec le fameux fil rouge, elle remontait le tout complètement différemment et presque indifférente, comme si elle avait mélangé les fragments et perdu la notice de montage, aidée en cela par un monsieur, un comédien qui devait tenir le rôle de l’analyste, mais sans lunettes ni barbe, et qui disait plein de très belles choses aussi. Démontage et remontage, travail conjoint de l’analyste et de son analysé. Avec une certaine assurance quand même, on aboutissait au meuble ultime, le cercueil, celui de Freud ou de Gradiva, ou de Freud et de Gradiva, je ne sais plus trop bien, il y a tellement longtemps de cela, cercueil que les deux comédiens suivaient en procession avant de quitter la boîte noire et d’entrer dans le trou blanc que révélait la porte mystérieusement ouverte. C’était là ma première rencontre, fascinante, éblouissante, avec mon ami et son théâtre, mais tout ceci j’ai eu loisir de le raconter moult et moult fois. Un jour donc mon ami eut très envie de ressusciter pour un temps la Gradiva. Il faut préciser qu’à la fin de chaque saison, il avait coutume d’entreposer les meubles et objets de ses représentations, ses œuvres menuisières, dans une grange attenante à sa boîte noire-longère, mais, pour réapparaître au Monde, Gradiva devait retrouver les siens, tout comme le Ka d’un Egyptien ancien doit réintégrer sa dépouille momifiée. La Gradiva bien que Pompéienne, son esprit lui aussi ne pouvait que se ressouder à ce qui l’accompagnait en sa vie de plateau. Oui, mais voilà ! Il manquait des fragments de meubles et quelques objets aussi. Où est-ce qu’ils avaient bien pu passer ? Avaient-ils été égarés lors de l’un de leurs nombreux transports ? Avaient-ils été absorbés par le trou noir de l’après-représentation ou par le trou blanc de l’oubli au fond d’une grange ? Un maraudeur avait-il nuitamment visité ladite grange et trouvé à son goût quelques beaux restes de Gradiva ? Nul ne sait ! C’est alors que l’idée surgit, magnifique et sur le fond complètement « malévitchienne », mais d’un Malevitch architectonique. Il suffisait de poser un cube blanc, un carré en volume, à l’emplacement du fragment de meuble ou de l’objet manquant, une prothèse mémorielle en quelque sorte. Tout à l’heure vous avez comparé l’absence ou la disparition du désiré comme « un gouffre à la noirceur sans fin », rappelai-je au Maître en modernité. La Gradiva de Jensen est précisément un texte sur le Désir, et pour faire revenir ce fantôme désirable qu’est Gradiva l’idée était ici de combler le gouffre noir de l’absence par des cubes blancs, plutôt que de le masquer par un simple carré, noir ou blanc, qui ne pourrait être qu’un cache-misère ou un cache-sexe, car sous le masque, le cache, la misère et le sexe seront toujours là. Sous le masque, le simple carré, le gouffre de l’absence sera toujours présent. Une surface ne peut que couvrir un trou, pas le combler. Et puis l’idée fut abandonnée ou oubliée, l’oubli comme trou blanc de la mémoire, on dit « J’ai un trou » pour signifier qu’on a oublié quelque chose, ou bien encore « J’ai un blanc ». Tout poète véritable sait qu’il ne faut pas répéter l’erreur d’Orphée, se retourner vers le passé, vers ce qui est mort, qu’il ne faut pas chercher à souffler sur les braises des amours défuntes pour en raviver le feu. Est-ce à dire que mon ami tourne résolument le dos à son passé ? Non ! Lui, le passé il le transcende par son art. Avec lui, le passé accompagné du désir, est redevenu matière à rêve. « Le rêve est la mise en scène du désir » écrivait Freud, si je me souviens bien... et aussi du passé fantasmatique transcendé par la poésie...
    - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

               

     

     


    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :