• Lettre (in Décharge n°99)

     Jean-Claude Leroy  à propos de  Patrice Thierry

     

    Le 7 avril dernier le poète-éditeur Patrice Thierry mourait, après bientôt 2 années d’immobilité. Comme nul n’a encore cru bon de signaler cette disparition, je me permets cette adresse au revuiste et aux lecteurs de Décharge. Patrice avait créé à Toulouse, avec ses amis, la revue L’Éther Vague en 1975. Une dizaine d’années plus tard la revue s’épanouissait en maison d’édition.  Le psychohistorien Robert Liris publiait Amphora. Le poète-traducteur Jean-Pierre Tardif proposait la première édition française d’un roman de F. Tozzi, Trois croix, avec pour toile de fond la faillite d’une librairie.
    Patrice Thierry, ami de Marcel Moreau, en devint l’éditeur fétiche, puisque c’est sous le label de L’Éther Vague que le dionysiaque “misosophe” publia trois inédits et qu’il réédita les grands livres de l’époque Bourgois : La Pensée mongole, Sacre de la femme, Les Arts viscéraux.
    Amitié, mot plein pour Patrice. Patrice tenait, par exemple, à une véritable rencontre avec l’auteur. Il ne suffisait pas pour lui que le manuscrit reçu lui fit la meilleure impression. Par ce “religieux sans religion” un lien se créait presque toujours, ouvrant sur des projets de livres ou des utopies profuses.
    Il fut le découvreur de jeunes auteurs comme Christine François, David Nahmias, Julien Bosc, Sophie Buyse, Christiane Renauld...
    A son catalogue on trouve aussi l’autre ami-maître, Armand Gatti, dont le combat pour le verbe et la connaissance ne pouvait que souscrire à sa propre aventure. Et puisque nous voici en poésie, dire que Malcolm de Chazal se lit principalement à L’Éther Vague, que Le Mal des fantômes de Benjamin Fondane se trouve à cette enseigne (en coédition avec Paris-Méditerranée) et aussi André de Richaud, Michel Conte, Pierre Peuchmaurd... Sa passion pour les poètes du Grand Jeu l’avait poussé à composer des livres-documents sur Roger Gilbert-Lecomte et Pierre Minet. Importante aussi, la réédition de À l’animal noir du surréaliste Guy Cabanel. […]
    Patrice travaillait seul, trop seul. Même si je n’ignore pas les collaborations fructueuses de quelques-uns. Je pense au travail de Jean-Pierre Tardif, je pense aussi à celui de Patrice Beray.  Pour autant on ne peut dire autrement. Patrice avançait en solitude. Façon également de souligner l’indifférence du milieu et de la presse à son égard. Il fallut à Patrice, traverser bien des découragements pour arriver à ce point d’efflorescence où enfin le catalogue de ses éditions dévoile pour chacun sa cohérence profonde. Et c’est au moment où un peu de reconnaissance l’atteignait que l’accident cérébral vint comme le secourir, afin qu’il puisse demeurer pur de tout succès et autre avatar de la réussite. Et maintenant, c’est la mort elle-même qui se charge de l’enfouis-sement, quand la carrière des journaleux s’arrange facilement d’une occultation certes parmi les plus bénignes !...     

    Jean-Claude Leroy in Décharge N° 99 (1998).

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