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Bach, c’est l’Aleph de Borges
« …24h environ que j’écoute – je me flatte de penser que j’étudie, mais je n’ai pas les partitions, qui les a ? – huit Préludes et fugues seulement, de Bach.Ils sont tous archi-connus, et pourtant, chacun est scellé sur son secret. La coque est très dure. Bach, c’est l’Aleph de Borges, je le répète, personne ne me croit, personne même n’est allé y voir. Et les organistes sont comme les grands médecins, ils se taisent. Les premiers se taisent sur la mort, les seconds sur la vie même. Je suis persuadé que s’il y eut quelqu’un de proche du fameux secret de la vie, de sa formule biologique, moléculaire ou cristalline, c’est Bach. Où donc aurait-il pu prendre ce perpétuel jaillissement de formes et de textures dont il n’y a aucun équivalent en art, pas même chez les plus grands peintres ? Mais pour comprendre Bach, il faut s’éloigner des grandes machines, les Oratorios, même les Cantates, où il y a pourtant bien des aveux, mais perdus dans une mécanique générale trop retentissante. Le cœur, c’est l’œuvre pour clavier. Mais là encore, ce qu’on place au sommet, c’est chef-d’œuvre d’artisan, le Clavier bien tempéré, didactique, comme l’Art de la fugue, absolument sublime quand il devient rêve ; les Variations Goldberg ; mais le cœur démiurgique de ce cœur, le Fiat divin, la fulguration de mondes en gestation, c’est les Préludes, etc. et Fugues pour orgue. Surtout les Préludes d’ailleurs, encore plus que les Fugues. C’est là qu’il atteint au démesuré en soi, à la liberté souveraine du créateur absolu. Où, là, il est le Dieu Bach, ou les mots n’ont aucun sens. On n’en revient jamais, c’est totalement inusable, après la cinq-centième écoute il y a toujours quelque chose qu’on n’avait pas entendu et qui nous place à l’origine de l’univers. Non, il n’y a rien d’équivalent dans aucune musique d’aucun lieu ni d’aucun temps avec aucun autre être humain. Bien sûr, de ces tonnerres sur le mont Sinaï il y a aussi beaucoup de versions très médiocres, routinières, brouillées, brouillamini quasi inaudible. C’est qu’il y a ici trop de paramètres à prendre en compte, la nature de l’orgue, d’abord, certains ne conviennent pas, sans qu’on le sache forcément d’avance. L’acoustique de l’église ensuite est décisive, et partout les problèmes très ardus, de prise de son, que cela doit poser. L’orgue est un instrument spatial énorme, totalement hétérogène, pas homogène plus ou moins comme un hautbois ou un violoncelle, et la capture-micros est certainement un casse-tête effrayant.
André Bernold (été 2017)
* Écrit dans l'enthousiasme. C'est évidemment faux. Et la première exception massive qu'il me faut citer, c'est toi, l'organiste que je vois qui me lit. (n.d.a.)
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