• COP21, Guerre, état d’Urgence : une même imposture

     Jean-Claude Leroy

     

    Qu’il soit question d’un état d’urgence ou d’un état de fait, d’un gouvernement martial ou d’un état-major, les donneurs d’ordre s’appliquent toujours à dicter les conditions d’une vie qui n’en est plus une, d’une vie qui devient la cible non seulement de desesperados mais aussi et avant tout des tenants d’un capitalisme omnipotent qui ne se connaît pour pôles magnétiques successifs que l’avidité, le désœuvrement puis la guerre, avec pour seules échappatoires laissées aux insoumis le romantisme suicidaire (sous toutes ses formes) ou la compromission la plus abjecte.

    Pas plus qu’en la police les citoyens avertis ne sauraient faire confiance à un gouvernement, celui-ci ou un autre, pour prendre les décisions qui s’imposent relativement à l’environnement, c’est-à-dire à la vie ; relativement à l’économisme, sinon à l’économie marchande dont il faudra bien sortir ; relativement à la sécurité qui ne saurait être assurée par la fabrique sans fin du terrorisme et de la terreur à coup de bombardements, de vente d’armes et d’oppressions multiples ; relativement à l’égalité sociale qui verrait la mise au pas des requins et oligarques de tout crin.

    COP =  FLIC (l’anglais facile)

    Quels que soient nos modes d’action, nos manières de défaire et de faire, comment ignorer que les changements nécessaires ne se passeront ni dans la douceur ni dans le consensus ? Comment ignorer que la COP21 ne changera rien, qu’elle n’a lieu que pour que rien ne change, toute infiltrée et inspirée qu’elle est par les lobbies de l’industrie, le jargon des communiquants, l’impéritie des professionnels de la politique ? En quoi l’urgence serait-elle de jouer le théâtre de l’urgence, sous forme de COP21 ou de gouvernement mondial (phantasme attalien des libéraux modernistes) ? Ne faudrait-il pas, au contraire, stopper la globalisation criminogène (accélérée 8 années de suite à l’OMC par un socialiste français), la priver de ses outils, de ses soutiens, pour que quelque chose d’autre ait une chance de se refaire ?

    Simple constat : les pouvoirs, quels qu’ils soient, sont ennemis de toute forme de vie naissante et éclairante ? L’exubérance du phénomène vital quand il prend tournure sociale est insupportable aux tenants de l’ordre.

    LA FRANCE, UN EXEMPLE POUR LE MONDE ?

    En 1945, à peine libérée du joug hitlérien, la France, ineffable patrie des droits de l’homme, massacrait à Sétif, à Guelma et à Kherrata, par milliers des Algériens coupables de revendiquer la sortie de l’étreinte coloniale dans une sorte de fraternité élargie à eux-mêmes. Et c’est l’état d’urgence déclaré en 1954 par le gouvernement du socialiste Guy Mollet qui permit sur place les opérations ethnicides d’une guerre sans nom. À Paris, le 17  octobre 1961, la Seine était rouge du sang des victimes algériennes venues soutenir l’idée d’indépendance. La police du préfet Papon et du président de Gaulle avait pour consigne : « Si vous tirez les premiers, vous serez couverts. »

    Dans les années 1947-1948, à l’époque du gouvernement dirigé par le socialiste Paul Ramadier, l’insurrection malgache est réprimée férocement. L'armée française expérimente à ce moment une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d'un avion pour terroriser les villageois de leur région. Par ailleurs, le 6 mai 1947, un commandant de camp fait procéder au mitraillage d’une centaine de militants emprisonnés dans des wagons. Cette répression causera plusieurs dizaines de milliers de morts.

    URGENCE SOCIALE

    Aujourd’hui, alors qu’on n’en finit pas de faire payer aux Maghrébins leur possible différence, aux pauvres le prix de leur malheur, aux jeunes le prix de leur jeunesse, de faire payer le prix de son courage à toute forme de conscience non formatée par le délire régulateur, ne serait-il permis d’envisager quelque urgence – réellement impérieuse, celle-là – à ne pas obéir, à ne pas se soumettre aux injonctions d’une caste féroce et triomphante, à la fois caste et classe, qui n’a jamais su où elle allait, sinon à sa jouissance béate et immédiate et la protection de son pré carré ? Quelque urgence à retisser les liens réels d’une société qui ne se parle plus assez, à casser les écrans qui font écran, les miroirs qui font miroir – une société de Narcisse immatures ne saurait prétendre à faire société. Quelque urgence à ne pas attendre, ni le prochain désastre, ni la prochaine révolution, mais à s’organiser partout où c’est possible et de vivre à sa façon, indépendamment de la grotesque et dangereuse machinerie en place qui ne cesse de nous vomir et de nous chier dessus.

    ZAD PARTOUT

    Les ZAD sont exemplaires à cet égard, opportunes et inventives, elles font la preuve que des expériences peuvent être menées non pas téléguidées par des programmes institutionnels mais portées par des individus solidaires et déterminés à essayer d’autres modes de vie et d’action. Et le temps perdu par les affairistes prédateurs, aussi bien Vinci que toute autre entreprise à dimension mafieuse – grâce aux expériences des ZAD, à Notre Dame des Landes, à Sivens, à Roybon, à Échillais, pour ce qui est de la France – est un temps gagné pour les consciences et pour peut-être garder possible une vie possible.

    JUSTICE POUR QUI ?

    Si l’esprit de vengeance ne peut valoir pour règle, l’amnésie non plus, il est impossible d’oublier que les policiers responsables de la mort de Zyed et Bouna ont été mis hors de cause, que le gendarme qui a tué Rémi Fraisse n’a fait que son devoir, qu’Amadou Koumé a été massacré dans un commissariat parisien en mars 2015, que sa mort a été cachée pendant un mois, que les policiers ont fait de fausses déclarations et que pourtant il y a eu, au final, un non lieu. Et tous les autres, victimes de la police, tués ou estropiés.

     LA POLICE LIBÉRÉE COURT À LA DÉLINQUANCE !

    L’état d’urgence n’a d’autre raison d’être que d’asseoir ceux qui l’ont ordonné, il sert de carnaval à la censure des voix discordantes et à couvrir les exactions des cognes. Pourquoi aurions-nous à nous y soumettre ? Tandis que la désorganisation des services compétents en matière d’antiterrorisme est avérée, les abus de la police sont déjà nombreux depuis le 14 novembre dernier. De même, les guerres que mènent les imposteurs résultants des impostures électorales ne sauraient être les nôtres. On se souvient que François Hollande est allé un jour s’excuser au nom du Parti Socialiste français près de l’ambassadeur américain pour l’obstruction française à l’invasion de l’Irak par des forces mandatées par le Conseil de sécurité. On sait que les avions français en opération au Moyen-Orient font inévitablement des victimes civiles en grand nombre, notamment en bombardant une ville de 250 000 habitants. On sait que les jeunes enfants de nos écoles sont obligés d’apprendre la Marseillaise et chanter en chœur : « Qu'un sang impur abreuve nos sillons ! »

    OÙ EST LA DIGNITÉ ?

    L’honneur ou la dignité, ne serait-ce pas de refuser l’esprit cocardier, la bêtise ambiante, de confiner à la marge l’imposture politicienne au service de l’imposture miltaro-technicienne, et de réinventer de toute urgence une manière de vivre autrement authentique et engageante, et cela – pourquoi pas ? – au nom du cosmopolitisme parisien et de l’universalité de ces valeurs humaines et révolutionnaires que sont la liberté, l’égalité et la fraternité ?

    jcl in Mediapart, 3 décembre 2015