• Erwann Rougé, poète à fleur de peau

     Jean-Claude Leroy

    « Inventer un langage, le parler doucement, juste ça » 1

    Comment dire les limites de ce qui n’en a pas, rien de solide, mais tellement véritable, sur quoi tout s’appuie ? L’écriture d’Erwann Rougé noircit à peine les pages, à pas de feutre, par goulées de tact, sans élever la voix ni la majuscule. Elle est un jeu extrêmement raffiné entre l’intime et le dehors apprivoisés l’un et l’autre, chacun à sa mesure. Il y a aussi en elle les frôlements de ce qui passe dans l’air (ce grand tout), oiseaux, souvent marins, comme pour tirer la mer à soi, une mer de sel et d’azur. Et de sable, à l’heure du perdant (perdant, pour dire la marée basse). Le Perdant, c’est le titre d’un récent recueil que le prix Georges Perros, opportunément, est venu saluer.

    « tout est dans un remugle. la terre se retire de la terre. sous la brûlure du soleil, la peau remonte sur les bords. » 2

    Avec Erwann Rougé tout est souplesse, ses mots ne savent heurter, ils mouillent la peau en douceur et invitent à ne pas se fixer quelque part, sauf où le paysage se déplace et voyage en soi. C’est par touches tactiles un récit invisible qui suggère à sa façon le battement entre permanence et impermanence des choses et du temps, où l’être apparaît et disparaît, se pose et se dépose.

    « aucune frontière
    ne trace de ligne

    entre faille et faille

    l’oiseau s’appuie sur l’air
    à ce qui parle bas
    autour d’une fragilité de plus

    l’avance de la lumière
    lui sert de cime » 3

    Est-ce de s’être éloigné de la côte armoricaine, il laisse davantage encore remonter la mer dans les mots ? C’est le perdant comme ce fut, la même année, aux belles éditions Isabelle Sauvage, rehaussé de superbes photographies de Magali Ballet, l’ouvrage intitulé L’enclos du vent, lui aussi enfoui en Bretagne, narines ouvertes aux embruns et pores à l’écume.

    « on ira ouvrir le point d’effacement

    là où la blancheur
    prend tout ce qui passe

    porte l’usure du temps
    et rien pour les morts

    là où quelque chose s’éclaire
    et le dit à quelqu’un » 4

    Il le disait déjà dans un recueil plus ancien : « hors du rivage je respire mal » 5, aussi se tient-il en lisière de quelque chose, ou plutôt de quelqu’un, puisque la nature est vivante. Forêt 6, Douve 7, la nuit se cache, elle ne lui fait pas peur ; il sait qu’elle incorpore l’être profond et tremble volontiers de lumière, pourvu qu’on lui attache un langage, un murmure indéterminé.

    « jusque dans le souffle
    ou l’effarement du souffle »
    8

     

    1) In 36 choses à faire avant de mourir, pré#carré/Hervé Bougel, collection les choses, juin 2009.
    2) in Le Perdant, éditions Unes, 2017.
    3) in L’enclos du vent, avec des photographies de Magali Ballet, éditions Isabelle Sauvage, 2017.

    4) in Haut fail, éditions Unes, 2014.
    5) in Corneille, éditions Unes, 1986.

    6) Les forêts, éditions Unes, 1992.
    7Douve, éditions Unes, 2000.
    8)in un reste de ciel, Atelier de Villemorge, 2018.

    Site des éditions Unes
    Site des éditions Isabelle Sauvage
    Site de l'Atelier de Villemorge

     


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