Didier Manyach
C’est à l’heure fixe que je pénétrais dans l’horloge des Pluies.
Le lait du Chaos est dans l’os
La source et le mouvement : l’Endroit.
Et l’Envers : l’éboulement...
Je reculais dans le bassin des Voix :
toutes les branches de l’eau distribuées
se dispersèrent dans les sangles de la nuit
endiguant la descente des colliers
la pierre rouge du sang...
Dans les combles le passage fermé
les longs couloirs où l’on s’efface
toutes les fenêtres brisées
le message du vent en morceau sur le sol
les coups de sonde traversant la chambre glaciale des organes
où n’habitait qu’un seul homme
les bandes de cristal déroulées aux portes
la mémoire gisante dans ses signes
puis le silence !
Le silence infini sur les amas...
Dedans : nous étions devant le vase sans fin
les barrières du mal & du désir
noires et violettes
à l’intérieur des hautes murailles
où la ville de brique
allumée dans ses tours d’abîme
avec ses machines et ses mâchoires de trépan
gisait en cendre
mortifiée...
Couché tout en bas des fosses de ma tête :
je la mangeais en attendant les feux
les feux définitifs
les feux de verre et les feux d’objets...
La forme dont la terreur est : l’Entre
le lieu rond des épreuves
où jamais ne point l’horizon
le cercle tracé dans la poussière
et autour des trous noirs
d’où nous parviennent des signaux
les restes d’une étoile morte à sept branches de neige
traversant le Nord
blanche comme la conque
les intersignes d’une langue à l’agonie
l’implosion dans l’espace-temps des particules élémentaires
l’Informe où je disparaissais...
Puis aux décrues barbares dans les ruines :
l’arrivée des revenants...
leurs Existants décodaient le message secret des nerfs
Leurs Expériences résistaient aux coulées de flux & poussées d’influx...
Qui était-ce et par qui soufflé dans ce pays de paille
où chaque écho me voulait
retourné contre les paroles froides :
je revenais...
Alignées aux flancs des moraines glacières
dans la galerie des masques et de vitres cassées
(où logeaient les reptiles de la mort guerrière)
résonnant dans chaque vase de peau
dans chaque onde d’os
les trois Langues cernaient de leur cruauté
La TerredeSoleiletdeLune...
Dehors-Dedans passaient refluaient s’interchangeaient
révélaient-Détruire par mouvements et giclées
de terre pourpre ?...
C’était l’approche du blanc coupé
dans les courroies de bois et les cravaches de lin
du blanc saigné dans le soleil éclipsé des voix :
quitter l’Organe pour gagner le Corps...
Loin dans le pot de cuir des espaces
loin du triangle de cuivre ou d’eau noire des organes
l’ordre des mondes dictait sa Loi :
l’ordonnance de l’Écroulement
perte de voix perte d’énergie perte de lumière perte...
l’action donnait : l’Entre a
mais l’Être non
l’Être dit jamais où...
— Il faut apprendre à disparaître !
Mais à crever l’outre à lymphe
à pénétrer ainsi à mort vivant dans les lampes contraires
où les images sautent
où les ombres de la pensée par leurs mouvements
se décollent des faces et du gouffre
je résistais...
Puis les Empires s’éloignaient !
c’est à l’heure fixe que je pénétrais dans l’horloge des pluies
Dans la bouche au cadran des morts
à baiser d’un froid venin
au tambour crevé des Langues
au cheval délié des voix/miroir de l’ordure
en place-naître
où l’écorce la pourriture battant le vide
dans les déserts piétinés sans fond
le vent dans l’œuf
les yeux crevés dans la pénombre
bouchaient l’Ouverture jusqu’au total dispersement des Signes
empêchant le corps clos
de s’ouvrir aux rythmes aux danses aux cris…
La ville soulevant les eaux :
la mobilisation des forces naître en place/contre naître s’anéantissant :
nous étions du monde infiniment...
...J’en appelle aux habitants : l’Ombelle dont chaque face
est respir dans le soleil levant
la voix dont chaque face est aspir dans l’air du temps :
je ne me reconnaissais plus dans vos passages envoûtés
sous des linteaux de fer et d’argile cuite
comme des linteaux de fer et d’argile cuite
comme des visages retroussés sur les sables
les routes de mauvaise viande les routes maritimes et terrestres
et tous les ponts-catastrophes du Vieil Homme
couchant aux oubliettes
voies de contrôle et projection d’errants
sur l’écran-fantôme des villes extérieures
la couronne éclatée des îles
et les caillots de cristal
je ne me reconnaissais plus dans l’origine bardée de fer
le chaos de métal et la ceinture de plomb des climats
je ne me reconnaissais plus !
... J’attends à l’envers le passage du Levant
sur la TerredeSoleiletdeLune
j’attends à cogner depuis toujours au poto-mitan-tête
Le passage secret du feu et du liquide
sur l’axe de la terre de soleil et de lune
j’apprends à disparaître errant depuis longtemps !
Au long des cités perdues
au long des voies enneigées
dans les chambres collectives le cercle pourtant se vidait
Dehors : les rayons du soleil tournaient
dans le ciel-néant de l’hiver
le frappant de trois boules-gong jaunes rouges et blanches
Dedans : les cycles sans fin se déroulaient
arrachant les bandeaux de la momie
de sel de salive et de semence...
Sur la terre de Sommeil sur la terre de Minuit dans la nuit dans le jour
depuis mille ans perpétuellement nous étions séparés...
Loin dans le pot de cuir des espaces
Loin des organes
L’Amour se refusait
la femme roulant dans les repas de boue et d’eau
Dehors la nuit n’était qu’un bain de sable
la voix dans les chemins une pierre noire
scellée au milieu des étoiles...
Enfin tout mon corps avalé je pénétrais dans l’Horloge
apparente dans le trou disparu des pluies
le chiffre de l’homme basculant dans le miroir
au prisme tombant saigné par les arcs du ciel
sous les voûtes de l’air
C’EST À L’HEURE FIXE QUE JE PÉNÉTRAIS DANS L’HORLOGE DES PLUIES
sur le tambour-calice de la terre
sur la TerredeSoleiletdeLune
DITES-MOI À QUELLE HEURE LE BROUILLARD BLANC SE LÈVE
DITES-MOI À QUELLE HEURE LA TERRE RÉELLE
CRÈVERA LA POCHE DE SANG DE L’HOMME-RÊVE
DITES-MOI LA MORT DONT LA PÉNOMBRE EST L’ÉTOILE
c’est à l’heure fixe que je pénétrais dans l’horloge des pluies
mais loin-trop loin les jours revenaient au hasard
le Même NON Même
et réaliser signifiait : il faut apprendre à disparaître
en se voyant-regarder
mais proches les eaux déjà neigeaient dans les montagnes
et les pierres roulant et s'éboulant
dans les yeux cassaient comme des boules de verre...
Didier Manyach
in Tiens n°9 (2000).