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Jean-Christophe Belleveaux, poète des « états successifs de l’urgence »*
j’ai vapeur de la mort
des fleurs discrètes dans le bois brut du réel
s’échappe une fumerolle perceptible
de néant
[…] *Une palpitation à l’œuvre, qui s’écoule en poèmes brefs, incisifs, à haute teneur existentielle, Jean-Christophe Belleveaux gratte sur papiers volants des mots à la hâte, jetés, hachés, autant de morceaux de vie découpés qu’on lit moins qu’on écoute à travers l’oreillette d’une scansion trépidante, morcelée, délivrant ce rythme émotif en prise avec un monde multiple, aussi bien intime que panoramique. Angoisse de vivre autant que de ne pas vivre, tout est objet de conscience instantanée dans ces textes cisaillés avec précision. Regard fragmenté qui a déjà épuisé les recours et pourtant continue à les épuiser encore, il ramasse les scories d’une joie qui lui vient d’être là, en même temps que désespoir. Regard qui a été porté depuis tant d’endroits de par le monde, car Jean-Christophe Belleveaux voyage comme il respire ou écrit, par à-coups. Il prend l’avion comme d’autres le métro, va voir de près, aime se sentir loin, c’est-à-dire au cœur du monde. Asie principalement – Inde, Thaïlande, Indonésie, Vietnam – mais non exclusivement (également Madagascar, l’Afrique), d’où ces cartes postales lapidaires, vibrantes, poèmes envoyés d’un point à un autre, épistoles griffées sur revers d’ordonnance ou de tract décalé, comme pour avertir, avant de traverser le néant, de cet intervalle qu’on voudrait annuler entre soi et les autres.
glaise
tout est dit
comprenne qui voudrade tout ce qui vint
viendra ou non
l’homme titube
les conifères abrupts le menacent
il se détourne
tombe infiniment[…] **
Car l’écriture est un quotidien jamais calculé, on y accueille, on y partage sans compter, c’est ainsi que J-C Belleveaux fut aussi l’animateur des revues Comme ça et autrement et, avec Yves Artufel et Roger Lahu, de Liqueur 44. Après Démolition, en 2013, un recueil écrit à Rennes lors d’une résidence, il publie il y a deux ans un livre coécrit avec Édith Azam, et aujourd’hui c’est sous une couverture bleu nuit que s’annoncent ses Fragments mal cadastrés.
quant à l’été
son goût de charogne
on a du mal
à faire avec
on réitère le même rêve
d’un grand couteau
on appelle ça
dépression
folie complaisance morbide
on souhaite pourtant
plus que tout
arracher cette vieille peau
à coups d’ongles furieux
on attend ***Tout est là sans ellipse, mots susurrés avec insistance, petit courant alternatif qui parcourt les secondes, c’est une poésie évidente, directe, pour l’oreille de tout le monde, une vibration qui ne se prend pas pour un discours, rien que signalement d’un homme, l’homme qui pourrait être un autre mais qui est celui-ci, l’homme des livres de Belleveaux. Pas fier de grand-chose, « l’homme de la sorte/absolu crétin forgeant des couperets», n'empêche, il nous parle vrai, nous parle fièvre, il palpite.
j’ai vapeur de la mort
des fleurs discrètes dans le bois brut du réel
s’échappe une fumerolle perceptible
de néantrien ne sert de déguerpir
autant inspirer à fond – font font
les petites marionnettesrien ne sert de fuir
vers le loin géographique
vers l’ailleurs linguistique
look, regarde, écoute, chouf
tout est pareil
zéro au zéro identique ***** Le titre de ce billet est emprunté à un titre de J-C Belleveaux : Carnet des états successifs de l'urgence, Les Carnets du dessert de Lune, 1998
* Jean-Christophe Belleveaux, Démolition, Les Carnets du dessert de lune, 2013.
** Jean-Christophe Belleveaux, Fragments mal cadastrés, Jacques Flament éditions, 2015.
*** Jean-Christophe Belleveaux, Fragments mal cadastrés, Jacques Flament éditions, 2015.
**** Jean-Christophe Belleveaux, Démolition, Les Carnets du dessert de Lune, 2013.
Voir la bibliographie complète de J-C Belleveaux sur Wikipédia : ici
Tags : jean-christophe belleveaux, poésie