• L’ami Jean Pommier, comédien, est mort

     Jean-Claude Leroy

     

     
    jean-pommierTout le quartier qui enveloppe les rue Boulard et rue Daguerre, dans le XIVe arrondissement de Paris, est en deuil de son plus vieil habitant, ami de tous les amicaux. Mais aussi toute la mémoire du théâtre en France depuis les années 40 jusqu’aux années 2000. C’était, comme il y en a sans doute quelques-uns, l’être le plus gentil que la terre ait porté.
    À 95 ans il avait en tête, et la partageait, une galerie unique de personnages et d’histoires, de lectures et d’anecdotes, de rencontres et d’amitiés. J’ai passé de nombreuses heures près de lui, dès que l’occasion m’était donnée de venir à Paris je sonnais chez lui et grimpais dans l’appartement mansardé, puis plus tard au premier étage de la même maison (après un épisode de quelques années de retour dans sa province des Deux-Sèvres). Au début des années 2000, j’ai enregistré quelques entretiens que je publiai dans une petite revue locale. C’est aujourd’hui en ligne ici, j’en extrais des passages pour cet hommage.
    En 1936 le front populaire invente les « loisirs dirigés », Jean Pommier a 14 ans, il choisit l’option « théâtre ». Chaque samedi, Jean Nazet, un jeune surveillant de 22 ans venu de Paris et connaissant très bien le théâtre, convertit quelques élèves. « Nous étions 3 ou 4, complètement subjugués par tout ce qu’il nous racontait. Alors nous avons monté une troupe, nous avons joué des choses… Après, nous avons rejoint une « société » : « Les Amis du théâtre ». Il s’agissait de gens de la ville, plus vieux que nous. Mais nous avions tous l’occasion de jouer. Au concours des jeunes compagnies, nous avons reçu un prix. Ça a duré ainsi jusqu’en 1941. »

    « J’avais un copain, le frère d’une copine, qui habitait à côté de chez moi. Un jour, il me dit : il m’est arrivé une aventure extraordinaire, et toi qui veux faire du théâtre, ça va t’intéresser. J’avais mis une petite annonce pour trouver du travail et j’ai été engagé par une troupe de théâtre, comme comptable.

    Cette troupe était celle de Jean Dasté ! J’avais entendu parler de Dasté, je savais que c’était le gendre de Copeau. Il me dit : « Ah ! c’est extraordinaire, cette troupe : « La saison nouvelle » ! On court les campagnes, on joue dans les granges, les cafés… »
    Alors j’ai demandé ce qu’ils jouaient.
    Du Marivaux, du Molière ! »

    Ainsi la vie de Jean Pommier a été faite d’un enchaînement de multiples rencontres fertiles qui le firent se présenter chez Barrault aussi bien que chez Vilar avec le même succès. Ce qui lui faisait se dire à l’époque : « c’est facile le théâtre, il suffit de passer une audition et on est engagé. » Il a cotoyé Paul Claudel, Marcel Aymé, Henri Pichette, André de Richaud. Il a joué dans la dernière mise en scène de Jacques Copeau, sous la direction d’André Barsacq, de Maurice Jacquemont, d’André Reybaz, de Jean-Marie Serreau, de Georges Wilson, de Jean Anouilh, a été l’ami de Maria Casarès, de Jean Audureau, de Nestor Almendros. Il racontait avec bonheur les tournées à l’étranger, une fois avec la compagnie Renault/Barrault, les autres dans les universités américaines, pour y jouer notamment du Jean Cocteau.

    Il joue aussi un temps à la Huchette La Cantatrice chauve.

    Vieillissant, les emplois se faisaient plus rares, c’est alors qu’il retrouve un ami de lycée, Michel Philippe, qui était en train de monter un festival du livre vivant, avec des comédiens amateurs, à Fougères, ville des portes de Bretagne.  « Il m’a pris comme assistant, et j’ai fait aussi des mises en scène. Ça a duré 10 ans. On commençait à travailler au mois de mars, les représentations avaient lieu au mois de juillet. Il y avait un peu de moyens, une structure, c’est ce qui m’a permis de faire des mises en scène intéressantes, de grands spectacles, avec beaucoup de monde. » Non loin de là, c’est à Laval qu’il participera aussi ce type de spectacle, jouant par exemple le rôle d’Ambroise Paré, mais aussi dans un montage de textes de Georges Perros, encore sous l’égide de François Béchu avec qui il jouera aussi, quelques années plus tard, une adaptation de Bouvard et Pécuchet.

    En 1966 il était entré au T.N.P. dirigé alors par Georges Wilson. Il y resta quelques années, jouant Brecht, Shakespeare, ou encore une pièce de Julias Haÿ. Vingt ans plus tard, je me souviens l’avoir vu dans un Pirandello, avec Maria Casarès, qu’il retrouvait. Ils avaient créé ensemble Les Justes, d’Albert Camus, en 1949, avec Serge Reggiani et Michel Bouquet. En 2001, avec son ami Serge Lannes, il monte et interprète Toute une vie bien ratée d'après Pierre Autin-Grenier au théâtre des Déchargeurs. Les deux complices excellent dans un texte joyeusement caustique qui sied à leur mauvaise humeur feinte. Tardivement Jean rencontrera Jean-Claude Penchenat avec qui il mènera quelques projets, regrettant de ne l’avoir connu plus tôt.

    Au cinéma, pistonné par Simone Signoret, il débute dans un film d’Yves Allégret, Les démons de l’aube. Il joue dans Les rendez-vous de Juillet et dans un des deux films qu’a tourné Jean Anouilh. Il est pressenti pour tourner avec Bresson Le journal d’un curé de campagne, dernier en lice, avec Daniel Gélin. Finalement, le trouvant en trop bonne forme pour être un curé malade, Bresson lui préfère un comédien qu’il auditionne au dernier moment (Claude Laydu). Il tourne avec Paul Vecchiali à plusieurs reprises, notamment un film où il a un rôle important, Les petits drames, détruit dans un incendie avant le tirage des copies d’exploitation. Plus tard, par l’intermédiaire de Maurice Garrel avec qui il a joué au théâtre, il rencontre son fils, Philippe, et tourne quelques scènes dans plusieurs de ses films.

    Passionné de littérature et de peinture, Jean se rendait encore il n’y a pas bien longtemps aux expositions parisiennes, fréquentait assidûment les théâtres et la cinémathèque, toujours intéressé par les nouveautés et les jeunes talents, s’étonnant du peu de curiosité de ceux-là pour les œuvres du passé. Lui-même pratiquait avec esprit l’art du collage, où une certaine espièglerie faisait mouche, il eut l’occasion d’exposer ses œuvres à plusieurs reprises.

    Amoureux de la vie et des êtres, Jean Pommier ne se plaignait jamais d’une douleur, il composait avec et avait cette force de voir tout d’un regard neuf et précis, toujours prêt à commencer une aventure, une relation. Mais il déroulait volontiers sa mémoire impressionnante, se rappelant telle ou tel, par exemple sa chère voisine de la rue Boulard, l’extraordinaire Paola, qui posait pour les peintres, et sa complice, la belle Américaine, Lili Cress ; l'écrivain Maurice Clavel qui habita le quartier; ou  Léo, le libraire spécialisé en art du spectacle et chez qui les conversations couraient toujours bon train (le cinéaste Aki Kaurismäki fit jouer sa boutique dans un de ses films). Aucune amertume jamais ne l’a rongé, il a vécu sans vanité, partageant tout, et se plaçant toujours au cœur de l’instant comme au cœur de l’amitié qu’il suscitait. En cela il restera pour nous à même la vie.

     

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    On peut lire de ses souvenirs dans un livre paru en 2013 aux éditions Pétra : Parlons théâtre, en dînant, Aline, Catherine et moi…

    sur le site des éditions : ici


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