• Le Défait (J-P Dubost), 3 extraits

    Jean-Pascal Dubost  
     Éditions Champ Vallon       Article d'Antoine Émaz sur Poezibao

    Le Défait (J-P Dubost), 3 extraits

    ll se penche au-dessus du trou sombre sous le coffre en bois percé disposé dans le cabanon face au tas de fumier sur lequel on venait s’asseoir et libérer ses affaires en lisant des pages torcheculatives (Paris-Match, Le Dauphiné, Le Progrès, L’Équipe) de la pile disposée pour le service du nettoyage culier, pas mécontent certains jours de se vider en admirant une princesse monégasque ou les lolos de Gina et surtout de se torcher sur la grande gueule vociférante de ce politicien au cache-œil noir. Il regarde la fosse d’aisances qui ne donne plus à voir la matière fécale qui là-dedans croupissait, et lui faisait horreur, n’y a plus que de la terre ; il lui arrivait souvent autrefois l’effroi que des bras monstrueux en saillissent et le tirassent par le cul pour s’entraîner dans les profondeurs empuanties de l’enfer.



    ****



    Tassé au fond du fauteuil, il cuve.

    Des choses et des inventions et des souvenirs lui passent par les yeux sans qu’il ne manifeste aucune réaction :
    Une forêt feuillue marchante,
    Un cochon en haillons,
    Une maison crépusculaire,
    Un vélo meurtrier,
    Une faim aux talons,
    Un idiot fataliste,
    Une locomotive en chaussettes,
    Un torche-cul duveteux,
    Une baleine écarlate,
    Un fleuve errant,
    Une boucherie de poissons,
    Un crayon exilé,
    Une agrafeuse mangeuse de papillons,
    Un surréaliste sans inconscient,
    Une truite recherchée par le F.B.I.,
    Un mort sans vie,
    Une attente sans bout,
    Un détective non privé,
    Une bombe atomique qui sent bon,
    Un sanglot court,
    Une petite cruche débordante,
    Un verchon fourgu,
    Une vie et ses opinions,
    Un faune intermédiaire,
    Une licorne blottie contre le sein d’une vierge,
    Un grand chiffre 5,
    Une folle polie,
    Un long nez sans personne,
    Une corne de taureau,
    Un château sans Pire,
    Une sempiternelle éternelle,
    Un babouin moqueur,
    Une carotte éternueuse,
    Un manque d’inspiration,
    Une lettre sombre,
    Un avant-dernier verre avant de partir,
    Une chambre sans discours intérieur,
    Un lac sans retour,
    Une nonne pisseuse,
    Un long fleuve rhétorique,
    Une géante au bocage,
    Un nain sans charrette,
    Une malade précieuse,
    Un ermite obscur,
    Une idée sans importance,
    Un paresseux continu,
    Une métamorphose apocryphe,
    Un coq-à-l’âne à l’oreille,
    Une Fleur d’esprit,
    Un Bobier saboté,
    Une sainte qui touche,
    Un mollet-serpent,...........................................

     


    ****



    Flânant dans le cimetière de Garnerans il lit les noms des morts sur les plaques et les horribles banalités familiales qu’on leur inflige et regarde avec dégoût les fausses fleurs, la bimbeloterie funéraire et le marbre gris qui pèsent sur les ventres et le répugnent.

    La mort infantilise.

    Les cimetières gagneraient en grandeur épique si au lieu de toute cette tartufferie commerciale les remenants établissaient une anthologie de leur village et inscrivaient à la place des épitaphes les quelques éléments biographiques essentiels et mémorables des défunts, à l’exemple de l’Anthologie Palatine et de la Spoon River Anthology d’Edgar Lee Masters, certes, des entreprises littéraires, mais la vie y gagnerait, elle aussi, si elle s’inspirait de la littérature un peu plus souvent, les cimetières deviendraient hautement fréquentables et on cesserait de les arpenter tête baissée avec quelque larmiche prenant naissance au coin de l’œil et cette affliction combien affligeante aux yeux du renégat, bon, bref, les cimetières deviendraient des livres ouverts où se liraient l’excellence de celui-là qui fut lauréat d’un prix de composition, les voyages au long cours et pleins de trous noirs de cet autre, les blessures de guerre d’un autre, on dirait les bals mémorables ou les bagarres tout autant, les métiers incroyables, des élections chahutées, les facilités au verre de ce bon père de famille, les vers mirlitons de l’épicier, il y aurait des réussites, des échecs, des exploits, des détails, des anecdotes, des folies, des suicides, des morts en couches, des vies sauvées, on raconterait les ruines et les puissances, de même qu’on pourrait envisager de créer le métier d’anthologue public, il assisterait les familles à la rédaction des petites épopées; de même qu’on pourrait concevoir qu’au lieu de poser devant les défunts de la pretintaille fourguée par la vile voirie libitinaire, on disposerait divers objets qui auraient marqué ces vies, qu’on élevât de cette manière des cairns de mémoire et fit desdits cimetières des odes à chacun, des odes à la vie, le quidam, alors, enfilerait le paletot des morts.

     

    Jean-Pascal Dubost, 
    Le Défait
    , éditions Champs Vallon, 2010.

    Champ Vallon 
    Article d'Antoine Émaz sur Poezibao


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