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Les Cavernes Cathédrales d’Obscur
Robert-Louis LirisIl faut abandonner les mots
ramener le feu à cette part de cendres,
retrouver en insectes de trente mille siècles
la nuit sans étoile des Cathédrales d'Obscur
Qui, dressé contre le mur Noir,
d'une lampe d'argile,
élève le doigt de la Lumière‑?
Pourquoi voyager dans le trait,
heurter du regard les rugosités de la roche,
peindre comme on pleure,
en larme d'ocre,
sur le ventre rond d'un galet‑?
Avec horreur, la fleur du feu,
se compromet avec le jour.
L'Homme au sourire sans lèvre,
venu mourir,
se vêt d'argile et d'os,
l'éclat d'un gypse froid dans ses cavernes orbitales.
L'empreinte d'une main signe au revers du monde
le pur espoir d'une espèce qui désespère.
L'absence du regard efface les gravures.
Le fusain tombé des mains de l'Homme
retrouve pour des siècles le chemin du diamant.
Alors, en partage de victoire sur le dernier Magdalénien,
les dieux inventent l'Interdit‑!
Et s'il ne s'agissait de la vie que le besoin
de le retrouver sous cette cathédrale d'ombre
où quelque chose eut lieu sans le Vieillard de Rome‑?
Hors des jardins pervers de l'espace,
les hommes de Lascaux surent-ils mieux désespérer
en renonçant au dehors, ce tombeau dressé comme un théâtre‑?
Toutes les espèces se trompent de décor.
Sur les draps de la nuit,
voici pour les aveugles du temps, le sang perdu de la lumière.
Les yeux lenticulaires des idoles néolithiques du silence,
contemplent les lumières mortes de l'incurable espérance.
L'éternité est un miroir où se mire la Nuit.
Au dernier rivage de cette galaxie,
à l'approche de l'océan du Noir,
voici les vagues vaines du retour à l'instant
là où il n'y plus ni hommes ni histoire.
Sur le sol de silice d'une caverne cathédrale
que savons-nous du sable
avant les pas de l'Homme‑?
Dans la nuit de Niaux
nul ne s'éveillera de la pierre et de la peur.
Trois bisons de tristesse
paissent les prairies d'une nuit sans étoile.
Les forêts ne vivent plus en ces lieux de bouche d'ombre.
Une rivière chemina jadis en aveugle
vers l'improbable mer qui ne fut jamais là.
La peinture pariétale est un art de faire et disparaître.
Le Temps, ce danseur incertain au sourire de céramique,
s'amuse de gestes accumulés par ceux qui ne bougeront plus.
La mer, vanne les siècles
au sein des cathédrales fluides des abysses.
Les naufragés de la Nuit
tendent sur les parois du sanctuaire de Niaux
leurs mains en désespoir
dans le soleil de l'ocre,
repoussent jusqu'à nous le mur de l'Ombre.
Agenouillé en vain sur les épaules de la terre
un homme enfant de ses doigts,
sur les joues de la glaise,
éveille de la vie un soir de création absurde.
Les peintres fous de la préhistoire
filtrent les lueurs douteuses du Monde Blanc
à travers les fissures d'une glace marine.
Déchireur de noir,
à la lueur dérisoire d'une flamme tombée
des songes cendrés de la lune,
l'homme naît comme un fruit‑: abandonné‑!
La fleur ouverte de la vie est à jamais insensible
aux bourdonnements inutiles des insectes initiés.
L'univers ouvre ses prairies d'étoiles pâles au cheval bleu du soleil. Nous savons, Patrice, du feuillage, le bruit de soie le long du corps des femmes, quand la vie ne se retourne plus dans le lit de l'Histoire avec les sueurs et les sels de la moiteur d'exister. Un soir d'hiver les vignes s'arrêteront de hâler de leurs bras désespérés la barque rouge du soleil‑: la Nuit est punition, fontaine de froid où l'aube abandonne ses promesses de chair. Redoutable Mère, l'idole de la mort, veille sur le sommeil du peuple immense de la nuit totale.
Dans les cathédrales d'Obscur, les fées gothiques de la calcite révèlent l'hypnose des mondes blancs et de leurs brillances éphémères. Faisons, ami, pèlerinage vers le noir‑: la grotte primordiale, ce lieu fortifié de la Nuit, ce ventre visité de la géante d'argile nue et noire.
Dans les cathédrales d'Obscur, fuyons avec ceux qui vinrent dire à la grandeur‑: les hommes se découragent toujours un peu avant leurs dieux. Que la terre nous soit légère aux archipels d'étoiles où gît une lumière trop sombre pour briller. Tu nous laisses si seuls avec ton souffle, en attente de bien mal continuer.Robert Liris
in Portrait de l'éditeur en montreur d'ours, Patrice Thierry,
Les Amis de l'Éther Vague, 1999.
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