• Les silences prononcés [1] de Serge Núñez Tolin

     Jean-Claude Leroy

    Les silences prononcés [1] de Serge Núñez Tolin […]

    Les mots ne font pas la réplique, comment le pourraient-ils ? Le poème est au silence ce qu’est le brusque retrait de la main sous l’eau bouillante [2].

    Rien ne donne à voir ni à penser comme une certaine poésie volontiers méditative, reflet sans doute d’une perception rassemblée sur elle-même, perception d’un univers saisi dans son ensemble. En l’état de solitude qui mène à cette qualité de ressenti paraît se trouver la clef d’une telle ouverture. Avec les mots les plus élémentaires, Serge Núñez Tolin nous montre l’espace où évolue une conscience d’être, en assemblant les arcs diaphanes d’un volume impalpable autrement que par le poème ainsi éclos. Et il ne s’agit pas d’invention mais de dire ce qui est, dire ce qui est là, et dans lequel nous sommes. Si bien qu’apparaissent évidentes, d’un coup, de soudaines définitions incalculables. Le corps n’a plus son sang, le sang l’a quitté. La poésie les sépare pour mieux les rendre nécessaire l’un à l’autre, comme l’on dirait de la vision et du regard. Serge Núñez Tolin est de ces poètes ascétiques, du moins je l’imagine ainsi, travaillant intérieurement jusqu’à atteindre une certaine fin de la pesanteur, et faire que les mots écrits, qui forment l’assertion proposée, ne s’attachent plus à la glaise initiale, mais semblent au contraire présents dans l’air que nous respirons, d’une présence habitée seulement par l’univers dans toute sa pleine vacuité.

     

    Comme la canicule, le néant flotte dans l’air.

    Le néant est dans l’air une chose quelconque que l’on peut atteindre d’un jet de pierre. Le caillou fait ses ricochets et revient au sol comme une trahison [3].

     

    Les silences prononcés [1] de Serge Núñez Tolin

     

    En tout paysage, il y a quelque chose de naissant, à commencer par le regard.

    La vue ne finit pas où elle porte, elle commencerait même au point où elle se perd [4].

     

    Diffusant des évidences qui n’en sont pas, cette poésie d’une grande limpidité respire la générosité, l’accueil, elle est un lieu où être quand notre monde se fait par ailleurs invivable. De cet admirateur de Juarroz, enroulant les mots dans des renversements, des jeux de miroirs lourds de sens, on retient le baume qu’il nous applique sans discours, avec le seul effet des langues de mots commençant et recommençant, et s’évertuant inlassablement à la conquête de la grève, jusqu’à se retirer pour mieux revenir et signifier. Entre silence et absence, flux et reflux, ce qui vient en soi qui n’est pas mesurable, ce qui passe, ce qui nourrit l’indicible et qu’il ne faut en aucun cas dénoncer – mais que nous ne savons taire ; Serge Núñez Tolin le délivre pour nous.

    Il y a cette opacité de la matière où l’être est à son plein rendement d’être.

    Mais il n’existe pas de voie pour l’atteindre car, rien, comme l’air dans l’air, ne marque sa présence [5].

    Outre ces considérations peut-être divagantes, dire l’apaisement gagné à la lecture des poèmes de Serge Núñez Tolin, le sentiment que vivre ou songer ne relève pas d’une extériorité objective mais d’un état fugace de reliance au temps, à l’infini, jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou non. Et dire de découvrir celui que les éditions Rougerie ont adopté. Le lire et le partager. Nouveau bien commun.

    […]

    La détonation

    de ce monde plein

     

    où l’on ne pourrait plus

    rompre avec ce qui est [6].

     Les silences prononcés [1] de Serge Núñez Tolin

     


    [1] cf. « Nous prononçons les mêmes silences. » (in L’ardent silence, éditions Rougerie, 2010.)

    [2] in Fou, dans ma hâte, éditions Rougerie, 2015.

    [3] in Nœud noué par personne, éditions Rougerie, 2012.

    [4] in Nœud noué par personne, éditions Rougerie, 2012.

    [5] in Nœud noué par personne, éditions Rougerie, 2012.

    [6] in Nœud noué par personne, éditions Rougerie, 2012.

    Voir sur le site Recours au poème

    Site des éditions Rougerie

     

    J-C L

    in Mediapart (août 2015)

     

     


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