• Logique du terrorisme (Michel Bounan)

    Michel Nounan   M. Lochu

    Michel Bounan, Logique du terrorisme
    Allia, 2003.
     

    Le dernier ouvrage de Michel Bounan porte sur le terrorisme, le terrorisme au service de l’État, en l’occurrence. Écartés le terrorisme autonomiste, nationaliste, celui de l’IRA, du FLN, des Palestiniens, des résistants dans la seconde guerre mondiale. 

    Bounan se penche sur le terrorisme chargé de contraindre la voix du peuple, celui qui sert à manœuvrer l’opinion, à justifier des projets belliqueux ou répressifs au service d’une politique programmée. Cette politique programmée étant aujourd’hui celle qui veut le triomphe de l’économie, laquelle « aboutit récemment à l’impasse suivante : ses succès détruisent les conditions même de la vie, la sauvegarde de ces conditions exige des efforts de moins en moins supportables économiquement, et il y aura bientôt de moins en moins de richesses, humaines ou autres, à gérer. Le monstre économique meurt de son propre succès, comme le cancer qui envahit un organisme vivant et qui finit par mourir lui-même de l’épuisement terminal de sa victime. »

    Et pour que cette politique ait les moyens qu’elle est sûre de mériter, elle trouve dans le terrorisme un outil qui a fait ses preuves. On se souvient par exemple de l’attentat d’Auguste Vaillant qui fit exploser une bombe en pleine Assemblée nationale française, blessant grand nombre de députés. C’était en 1893, l’Auguste fut condamné à mort, décapité, souffle coupé. C’est beaucoup plus tard que l’on apprit la provenance de la bombe utilisée par Vaillant : le laboratoire de la Préfecture de police. En attendant, des lois qui devaient limiter l’expression et le mouvement social avaient été votées dans la foulée, l’émotion avait décidé les élus, c’était bien ce qu’on attendait… Bien plus tard, dans les années 1990, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, cherche à imposer un contrôle plus étroit des personnes, en vue d’affronter « les turbulences du XXIe siècle ». Dans cette même période, deux jeunes gens aux idées révolutionnaires se font les protagonistes d’un braquage et puis d’une tuerie qui balaie trois policiers et l’un des délinquants. Les médias font grand cas de cette actualité sanglante et l’Assemblée nationale vote dans l’urgence les mesures voulues par Charles Pasqua. Il apparaît par la suite que c’est un agent de la Sécurité algérienne qui avait procuré au couple l’arme du crime et que, selon divers témoins, ce même homme était présent en tant que guetteur lors du braquage funeste. Entre-temps la police française a obtenu dix milliards de francs (soit une augmentation de 70 % de ce budget), cent cinquante commissariats, cinq mille policiers supplémentaires. Dans ces deux histoires séparées par un siècle, des questions restent en suspens, que l’État ne cherchera jamais, semble-t-il, à débrouiller.

    Pour ce qui est du champ international, l’attentat de Sarajevo permit à l’empereur Guillaume II d’obtenir le déclenchement d’une guerre dont il attendait évidemment un grand profit pour son pays. En 1941, la destruction de Pearl Harbour fut ce qu’attendait le président Roosevelt pour entrer en guerre contre le Japon, une fois l’opinion acquise. Avec pour objectif à terme de créer un nouveau marché pour le commerce américain.

     

    «Aujourd'hui la situation internationale mondiale a changé, l’ouverture de nouveaux marchés n’est plus le seul enjeu des grands industriels ; mais avant tout l’énergie nécessaire à faire fonctionner la production elle-même. » note Bounan avant de citer Brezezinski, personnage influent, qui préconisait en 1997 l’occupation américaine de l’Asie centrale et déclarait : « La recherche du pouvoir ne soulève pas spontanément les passions du peuple, sauf si le peuple se sent brusquement menacé. » Et d’évoquer même un second Pearl Harbour qui servirait à faire adopter les mesures qu’il présentait. L’attentat du 11 septembre 2001 – 28 ans jour pour jour après le coup d’État au Chili de Pinochet soutenu par la C.I.A. – était donc attendu par quelques Américains qui ont vu leur espoir assouvi avec l’acclamation d’une politique guerrière conduite par le président G. W. Busch, dans la droite ligne de la politique de domination des États-Unis.

    En aucun cas le terrorisme ne peut être ce qu’il prétend être. Michel Bounan éclaire là un couple État-Terrorisme qui voit le second renforcer le premier mieux qu’une injonction unilatérale.

    Nous regretterons les quelques approximations de Michel Bounan, faisant jouer, par exemple, un rôle à Bismark dans les événements de 1914, ce chancelier étant mort en 1898. Et l’ancien médecin et ami de Guy Debord ne signe peut-être pas avec Logique du terrorisme son ouvrage le plus incisif, mais il n’empêche, Michel Bounan est bien de ceux qui ne veulent s’en laisser compter, et il nous importe, à chaque fois, d’examiner leur traduction des événements de cet ici-bas qui se veut monde.

    M. Lochu
    Le Mouton fiévreux (2e série) n°12, 2004 

     

     


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