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Par les yeux
par les yeux qui ne perçoivent qu’un monde à la fois
quand tout veut se réduire à l’attractif
la moindre captation a valeur d’absolu
alors que c’est un mensonge sur la marchandise
sur le prix qu’elle coûte et son usage
mensonge, mensonge et encore mensonge
si bien qu’à vrai dire le spectacle me sort par les yeux
par les tympans, par des haut-le-cœur
le spectacle seul récompensé parmi les arts
le spectacle pour ne pas dire l’enfantillage
ou la domestication
ou l’asservissement du troupeau
soi-disant éveillé
la dévotion a pris des visages multiples
mais elle est encore la dévotion
et les dévots hagards ravis et subjugués
tout ça instruits et citoyens
qui s’en va
cul serré et fleur au fusil
vers le ravin des ruines
tandis que ça continue à étouffer le moindre son de parole
la moindre parole coupant à travers le discours
comme si la propagande avait tout pris des mots
et que le mot d’un seul
la langue savante et vivante
n’avait plus place que derrière un guichet
j’écoute mon voisin à travers la porte
comme si j’étais au bordel
je sais des mots confettis
que je n’agrandirais sous aucun prétexte
et je chuchote à l’oreille de ma belle
des murmures improvisés que feront florès
dans le cœur d’un amour partagé
le droit de vivre à part soi
avec le plein d’émotion et de compréhension
c’est aussi cela d’échapper au spectacle
qu’il soit vivant ou mort
c’est la même chose
c’est le spectacle vendu
le commerce institué
dévalorisé
la fausse monnaie d’une économie mortifère
je voudrais réveiller ma famille
mes amis mes intimes
en leur disant taisons-nous enfin
pour mieux nous entendre,
apprendre à entendre
à nous entendre
ça parle sans la voix
sans les signes
ça respire la vie
ça recommence à recommencer
même quand on croit qu’il est trop tard ou trop tôt
pour être
attention à l’attention
c’est la prière de l’incroyant
je ne sais pas ce que je sais
mais je le tiens ici
à portée de crépuscule
et je lave inlassablement mes yeux
et mes oreilles
le monde s’ouvre à chaque fois sur ce nouveau rendez-vous
je ne vieillis pas
j’aime et je deviens(18 avril 2014)
Tags : jean-claude leroy