• Pavés (extraits 2)

     Jean-Claude Leroy

     

    Tellement dressé à chercher, tu ne trouves pas. C’est parce que tout est déjà là que tu réclames autre chose. Tu pourrais te saisir de ce qui a le mérite de ne pas se cacher, mais non, tu préfères ton instinct de chasseur à ce que tu appelles une paresse méditative. Je préfère ma façon d’accueillir ce qui est – ne serait-ce que la vie ou le vent – et mon œil s’habitue lui aussi. Heureusement qu’il se fermera un jour pour que la nuit le dévisage.

     

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    Ma position politique : défendre un monde d’amateurs. La professionnalisation en toute chose est la pire solution. Le monde de l’entreprise et de la valorisation qui s’est construit jusqu’à maintenant ne saurait être le mien ; toute personne qui le prend au sérieux me paraît, au mieux, grotesque, mais le plus souvent méprisable, et nuisible.

     

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    Celui qui a des armes, les armes le tueront ; celui qui est nu s’armera de lui-même, et il vivra. Ainsi j’écris ma bible avec mes mots et mon sang, le ton en est solennel et il provoque le sourire. Mes armes naissent dans le papier ou dans l’instant de la parole, je ne saurais les connaître par avance, ce qui est de moi ne m’appartient pas.

     

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    Tout aussi bien je meurs parce qu’on me tue. C’est un corps étranger qui m’a blessé, non par agression, mais par tout ce qu’il s’inflige.

     

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    Ce couvre-feu comme déjà ce confinement, a fait de nous des assignés à résidence, c’est ce que j’ai entendu souvent ces temps derniers, ce qui me donne l’envie de préciser pour ces bonnes âmes qu’assignés à résidence, nous sommes un paquet à l’être depuis fort longtemps, et je ne parle ici des handicapés physiques, du vieillissement des tissus et autres délabrements scabreux, je parle de la pauvreté (quel mot obscène, n’est-ce pas ?) qui interdit les déplacements à ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un billet de train ou a fortiori un véhicule. Cela fait des années que je ne voyage quasiment plus, la faute de moyen m’en a ôté le désir (mes désirs sont subordonnés à mes désirs, je suis fait ainsi). De ne pouvoir me déplacer vers d’autres villes, d’autres pays, je me vis comme prisonnier. L’auto-stop a été comme interdit par les formes extra-urbaine et surtout le covoiturage (l’entraide gratuite ringardisée par la micro-économie), lequel aura incidemment participé à mon enfermement. Non, les pauvres n’ont décidément pas d’imagination, ils ne partent pas en week-end au bord de la mer, ils oublient de se changer l’air, ils sont vraiment nuls et participent de leur malheur ! Ils participent à peine au réchauffement climatique, c’est vous dire s’ils sont peu solidaires, à vrai dire foncièrement égoïstes !

     

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    Envisager qu’il y ait quelque chose après la mort requiert un tout autre ressort que l’imagination. Quant à la foi, elle ne nomme pas, c’est là son secret, sa force. La crainte de Dieu préfère la loi admise à un sort inévitable, une règle à la fatalité.

     


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