• Philippe Saltel, sur Guyau (extraits)

    Philippe Saltel

     

    Écologie & Politique[Sur l'association]

    […]

    Le nom commun des vertus d’une société politique accomplie est alors, sous la plume du philosophe, celui d’association. Il y a lieu de s’arrêter à ce concept qui nous paraît contenir des éléments contrastés et suffisamment distincts pour lui donner ici plus de relief que dans l’usage courant. Premièrement, en effet, l’idée d’association ne provient pas d’une conception théorique isolée, par exemple de l’élaboration d’un catalogue de propriétés essentielles d’une cité idéale, mais dans la pensée de l’histoire et, tout particulièrement, de ce qui est le plus manifeste dans l’histoire : l’évolution du fait religieux (même s’il est, ce fait religieux, pour partie une projection du fait politique comme Guyau l’a précédemment observé). L’association est une idée religieuse. Elle est même plus que cela, le shème de toute religion qui donne forme sociale à la conception de l’ensemble des êtres réels et même  des êtres « possibles et idéaux » - voilà pour son « fond » - et qui constitue son dogme, ses rites, ses commandements mêmes sous le régime de l’association d’idées, à laquelle correspond la belle définition d’ « intelligence ritualiste » - voilà pour sa « forme ». Si, donc, les contenus religieux s’effilochent peu à peu, par suite des progrès de la connaissance, qu’en restera-il ? Seule peut se maintenir l’intention qui les anime, l’orientation qu’ils manifestent et qui n’est que l’expression, sous l’aspect du sentiment religieux, de l’instinct métaphysique. En bref, il revient aux hypothèses que nous avons évoquées plus haut de prolonger dans la pensée laïque l’inspiration associationniste qui avait pris temporairement forme religieuse.

    […]

     

     

     

    Écologie & Politique[extrait de la conclusion de l'ouvrage]

    "Il ne doit pas y avoir d’époque où l’on cesse d’apprendre."

    (J-M Guyau, Éducation et Hérédité, VII, 204)

    […]

    Apprenons donc : travaillons donc à bien penser. Car ce que signe le travail philosophique de Guyau, conscient de se trouver à un tournant de la philosophie morale, c’est la perspective nouvelle d’une possible détérioration ontologique de l’homme – en ce sens, il en finit avec les « idées modernes ». En même temps, il entend placer l’origine des problèmes moraux en deçà de l’espèce humaine elle-même, autrement dit le vivant, en conséquence de quoi leur formulation actuelle ne peut être qu’un moment d’une histoire, et la vie morale de chacun placée dans cette histoire.

    Que la question la plus pesante – l’avenir de l’humanité  – dépende in fine des expériences les plus délicates, l’éducation, la vie intellectuelle et esthétique, tel est sans doute le défi politique supérieur de ce temps que l’on dit « postmoderne », et nous avons pu l’apprendre dans cette étude qui, nous l’espérons, aura aussi mis à jour l’originalité d’une morale qui se veut « de l’évolutionnisme », qui ne néglige pas l’hypothèse de l’inconscient psychique et nous offre une version, pré-freudienne, des conséquences que l’on peut en tirer. Au carrefour des interprétations parfois insuffisantes qu’elle propose, qu’il s’agisse de ses références, de ses antagonistes, de l’histoire de la pensée morale elle-même, au point central de ses tensions, entre positivisme et métaphysique, naturalisme et moralisme, au nœud de ses inquiétudes, qu’il s’agisse de démographie, d’hérédité, de décadence de l’art et de la culture, le cœur de cette pensée, une proposition ferme et durable, ne perdrait rien d’essentiel à ce que nous prenions en compte ce que nous savons et que Guyau ne pouvait connaître. Elle porte, cette proposition, que le principe même de la vie morale, sur la puissance d’enveloppement d’un tel principe, sur sa diffusion dans toutes les capacités de l’être humain. Que la vie tende à surabonder et que là se trouve sa puissance, voilà sur quoi se fonde tout ce que l’histoire des hommes exige de nous, ce vers quoi elle tourne, maintenant, nos regards.

     

    Philippe Saltel,

    La puissance de la vie, essai sur l’esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (Les Belles Lettres, Encres Marine, 2008), p. 315-316 et p. 391-392.


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