• Pierre Kropotkine : L'Éthique (chapitre 13)

    Évolution des idées morales

     

    Pierre Kropotkine : L'Éthique (chapitre 13)De toutes les nombreuses tentatives faites par les penseurs et les philosophes dans la seconde moitié du XIXe siècle pour fonder l'éthique sur les bases purement scientifiques, celle de J-M Guyau mérite surtout de nous arrêter. Ce fut un penseur français de grand talent, mort malheureusement trop tôt. Guyau voulait, d'une part, débarrasser la morale de toute prescription mystique et surnaturelle d'une divinité, de toute contrainte extérieure, de tout devoir imposé du dehors; d'autre part, il voulait écarter du domaine moral l'intérêt personnel matériel et l'aspiration au bonheur, sur lesquels était fondée la morale des utilitaristes.

    La doctrine morale de Guyau est si profondément pensée et exposée sous une forme si parfaite qu'il est facile de la faire connaître en peu de mots. Très jeune encore, Guyau a fait un travail très sérieux sur la doctrine morale d'Épicure. Cinq ans après la publication de ce livre (en 1879), il a publié son second travail, extrêmement précieux : La morale anglaise contemporaine. Guyau y expose et soumet à sa critique les doctrines morales de Bentham, des deux Mill (le père et le fils), de Darwin et de Bain. Enfin, en 1884, il fit paraître sa remarquable Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, qui frappa tout le monde par la nouveauté et la justesse des idées et aussi par la beauté artistique du mode d'exposition. Ce livre eut, en France, huit éditions et fut traduit dans toutes les langues européennes.

    À la base de son éthique, Guyau place l'idée de la vie, dans le sens le plus large de ce mot. La vie se manifeste par la croissance, la reproduction et l'extension. L'éthique, selon Guyau, doit être un enseignement des moyens par lesquels peut être atteint le but posé par la nature elle-même : l'accroissement et le développement de la vie. L'élément moral dans l'homme n'a donc besoin ni d'une contrainte, ni d'une obligation coercitive, ni d'une sanction d'en haut : il se développe en nous en vertu du besoin même de vivre d'une vie pleine, intense et féconde. L'homme ne se contente pas de la vie de tous les jours; il cherche à en étendre les limites, à intensifier sa marche, à la remplir d'impressions et de sensations variées. Et du moment qu'il sent en lui la faculté de le faire, il n'attendra pas une contrainte, un ordre venant du dehors. "Le devoir, dit Guyau, se ramènera à la conscience d'une certaine puissance intérieure, de nature supérieure à toutes les autres puissances. Sentir intérieurement ce qu'on est capable de faire de plus grand, c'est par là même prendre la première conscience de ce qu'on a le devoir de faire."

    Nous sentons, à un certain âge surtout, que nous avons plus de forces qu'il n'en faut pour notre existence personnelle et nous les dépensons volontiers au profit des autres. De cette conscience d'une surabondance de vie tendant à se manifester par l'action, provient ce que l'on appelle ordinairement le sacrifice. Nous sentons que nous avons plus d'énergie qu'il n'en faut pour notre vie de tous les jours, et nous donnons cette énergie aux autres. Nous entreprenons un voyage lointain, nous fondons une œuvre d'éducation, nous consacrons notre courage, notre initiative, notre persévérance et notre capacité de travail à une œuvre commune quelconque.

    Il en est de même de notre compassion au chagrin d'autrui. Nous avons conscience d'avoir, comme dit Guyau, plus de pensées dans notre esprit, et plus de compassion et même d'amour, de joies et de larmes qu'il n'en faut pour notre conservation; et nous les donnons aux autres, sans nous préoccuper des conséquences. C'est notre nature qui l'exige, de même que la plante doit fleurir, bien que sa floraison soit suivie de la mort.

    L'homme possède une "fécondité morale". Il faut que la vie individuelle soit dépensée pour les autres et, en cas de besoin, donnée pour eux... Cette expansion, cette intensification de la vie est la condition d'une vie véritable. "La vie, dit Guyau, a deux faces : par l'une elle est nutrition et assimilation, par l'autre production et fécondité. Plus elle acquiert, plus il faut qu'elle dépense : c'est sa loi." La dépense physique est une des manifestations de la vie; c'est l'expiration qui suit l'inspiration... " vie, c'est fécondité, et réciproquement la fécondité, c'est la vie à pleins bords, c'est la véritable existence. Il y a une certaine générosité inséparable de l'existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche intérieurement. Il faut fleurir; la moralité, le désintéressement, c'est la fleur de la vie humaine."

    Guyau signale ensuite l'attraction de la lutte et du risque. Il suffit, en effet, de se rappeler les milliers d'occasions où un homme s'engage dans la lutte, s'expose à un risque même très considérable, et cela à tous les âges, même dans la vieillesse la plus avancée, pour le plaisir même de la lutte et du risque. Le jeune Mzyri* n'est pas le seul à pouvoir dire, en pensant aux quelques heures passées par lui en liberté et dans la lutte : "...J'ai vécu, vieux, et sans ces trois jours de bonheur, ma vie aurait été plus triste et plus morne que ton impuissante vieillesse."

    Toutes les grandes découvertes dans l'exploration du globe terrestre et de la nature en général, toutes les tentatives audacieuses de pénétrer les mystères de la nature et de l'univers ou d'utiliser, sous une forme nouvelle, les forces naturelles - que ce soit dans les expéditions maritimes lointaines du XVI ème siècle ou dans l'aviation actuelle, toutes les tentatives faites au péril de la vie pour transformer la société sur de nouvelles bases, toutes les nouvelles initiatives dans le domaine de l'art ont eu pour point de départ précisément cette soif de la lutte et du risque, tantôt se manifestant chez des individus isolés, tantôt embrassant des classes sociales ou même des peuples tout entiers. Tout le progrès humain est leur œuvre.

    Il existe, enfin, ajoute Guyau, un risque métaphysique (intellectuel), qui apparaît toujours lorsqu'une nouvelle hypothèse est émise, que ce soit dans la pensée, dans la recherche scientifique ou sociale, ou dans l'action, individuelle et collective.

    Voilà ce qui assure au sein de la société le caractère moral et le progrès moral : c'est l'acte, non seulement l'acte accompli dans le combat et la lutte, mais aussi dans les tentatives de pensée audacieuse et de transformation aussi bien dans la vie du penseur lui-même que dans la vie sociale.

    En ce qui concerne la sanction des idées et des aspirations morales qui naissent en nous, c’est-à-dire ce qui leur donne un caractère d'obligation, les hommes l'ont, jusqu'à présent, cherchée dans la religion, c’est-à-dire dans les ordres reçus d'en haut et appuyés par la crainte d'un châtiment ou la promesse d'une récompense dans un autre monde. Guyau n'en voit, bien entendu, aucune nécessité, et il consacre, dans son livre, une série de chapitres à l'explication de l'origine de l'idée d'obligation dans les règles de morale. Ces chapitres sont si bien écrits qu'il faut les lire dans l'original. En voici les pensées essentielles.

    Tout d'abord, Guyau montre qu'il existe en nous-mêmes une approbation intérieure des actions morales et un blâme des actions antisociales. Ils se sont développés dès l'époque la plus reculée, en raison de la vie en société. L'approbation ou la désapprobation morale était suggérée à l'homme par sa justice instinctive, dit Guyau. Enfin, le sentiment d'amour et de fraternité, inné à l'homme, agissait dans le même sens.

    D'une façon générale, deux sortes d'aspirations ont toujours existé dans l'homme : d'une part, les aspirations encore inconscientes, les instincts et les habitudes, qui donnent naissance à des pensées encore peu nettes; d'autre part, les pensées conscientes, réfléchies et les tendances réfléchies de la volonté; la morale se trouve sur la limite entre ces deux sphères, toujours obligée à choisir entre elles. Malheureusement, les penseurs qui ont écrit sur la morale ne se sont pas aperçus à quel point le conscient en nous dépend de l'inconscient.

    Or, l'étude des coutumes au sein des sociétés humaines montre combien l'inconscient influe sur les actes de l'homme. En étudiant cette influence, nous constatons que l'instinct de conservation est loin d'épuiser toutes les aspirations humaines, comme l'admettent les penseurs utilitaristes. Un autre instinct existe à côté de lui : l'aspiration à la vie la plus puissante et la plus variée et à l'extension de ses limites au-delà du domaine de la conservation personnelle. La vie ne se limite pas à la nutrition; elle aspire à une fécondité intellectuelle, à une activité morale, riche en sensations, en sentiment et en manifestations de la volonté.

    Certes, ces manifestations de la volonté peuvent agir, comme l'ont fait remarquer avec raison certains critiques de Guyau, et agissent souvent, à l'encontre des intérêts de la société. Mais l'important est que les tendances antisociales (auxquelles ont attribué tant d'importance Mandeville et Nietzsche) sont loin d'être toutes les tendances humaines dépassant la sphère de la simple conservation individuelle; à côté d'elles existent des aspirations à la vie sociale, une vie en harmonie avec la vie de la société tout entière, et ces aspirations ne sont pas moins fortes que les aspirations antisociales. L'homme tend à des relations de bon voisinage et à la justice.

    Malheureusement, Guyau n'a pas suffisamment développé ces deux dernières pensées, du moins dans son travail fondamental; plus tard il s'y est arrêté un peu plus longuement, dans son étude Éducation et Héridité
    . Guyau a bien compris qu'il était impossible d'édifier la morale sur le seul égoïsme, comme l'avaient fait Épicure et,  à sa suite, les utilitaristes anglais. Il a bien vu que la seule harmonie intérieure, la seule "unité de l'être" ne suffisait pas, qu'il y avait encore dans la morale l'instinct de sociabilité. Mais il n'attribuait pas à cet instinct l'importance qu'on doit lui reconnaître et que lui avait reconnue Bacon et, après lui,  Darwin; ce dernier a même affirmé que, chez l'homme et chez beaucoup d'animaux, cet instinct est plus puissant et agit de façon plus constante que l'instinct de conservation. Guyau n'a pas apprécié à sa juste valeur le rôle décisif que joue dans les hésitations morales la notion de justice, c'est-à-dire de l'égalité entre les être humains, qui se développe au sein de l'humanité. Le sentiment de l'obligation morale, qui existe incontestablement en nous, trouve chez Guyau l'explication suivante : "… il suffit de considérer les directions normales de la vie psychique. On trouvera toujours une sorte de pression interne exercée par l'activité elle-même dans ces directions […]. L'obligation morale, qui a son principe dans le fonctionnement même de la vie, se trouve par là avoir son principe plus avant que la conscience réfléchie, dans les profondeurs obscures et inconscientes de l'être."

    Le sentiment du devoir, continue-t-il, n'est pas invincible; on peut le réprimer. Mais, alors, comme l'a montré Darwin, il subsiste, il continue à vivre et rappelle son existence; quand nous avons agi contre le devoir, nous sommes mécontents de nous-mêmes, et la conscience de buts moraux naît en nous. Guyau cite plusieurs exemples magnifiques de cette force; il rappelle, entre autres choses, les paroles de Spencer prévoyant un temps où l'instinct altruiste sera si puissant que nous lui obéirons sans aucune lutte apparente (j'ajouterai que beaucoup de personnes vivent ainsi dès maintenant); les hommes se disputeront alors les occasions de sacrifice. "Le dévouement, dit Guyau, rentre [...] dans les lois générales de la vie [...]. Le péril affronté pour soi ou pour autrui - intrépidité ou dévouement - n'est pas une pure négation du moi et de la vie personnelle : c'est cette vie même portée jusqu'au sublime."

    Dans l'immense majorité des cas, le sacrifice ne se présente pas comme un sacrifice absolu, le sacrifice de sa vie, mais seulement comme un danger ou comme la privation de certains biens. Dans la lutte, au milieu du danger, l'homme espère la victoire. La prévision de cette victoire lui procure un sentiment de joie et de plénitude de la vie. Beaucoup d'animaux mêmes aiment les jeux comportant un danger : ainsi, certains singes jouent volontiers avec les crocodiles. Chez les hommes, le désir du danger et de la lutte est très fréquent; l'homme éprouve le besoin de se sentir quelquefois grand, d'avoir conscience de sa puissance et de sa volonté libre. Cette conscience, il l'acquiert dans la lutte, lutte contre lui-même et contre ses passions ou lutte contre des obstacles extérieurs. Nous avons affaire ici à un besoin physiologique; très souvent, de plus, les sentiments qui nous entraînent au risque deviennent plus fort à mesure que grandit le danger.

    Mais le sentiment moral ne pousse pas les hommes seulement au risque : il les guide même alors qu'une mort inévitable les menace. Ici également, l'histoire enseigne à l'humanité - à ceux-là du moins qui sont prêts à recevoir ses leçons - que "le dévouement est un des plus précieux et des plus puissants ressorts de l'histoire. Pour faire faire un pas à l'humanité, ce grand corps paresseux, il a fallu, jusqu'à présent, une secousse qui broyât des individus". Ici, Guyau, dans des pages magnifiques de beauté, montre comment le sacrifice devient naturel alors même que l'homme va au-devant d'une mort certaine et n'espère aucune récompense dans un autre monde. À ces pages, il faudrait seulement ajouter que nous trouvons la même chose chez tous les animaux sociaux. Le sacrifice pour le bien de la famille ou du groupe est un trait commun dans la vie animale, et l'homme, être social, ne fait naturellement pas exception.

    Guyau indique ensuite un autre trait de la nature humaine, qui remplace quelquefois en morale le sentiment du devoir prescrit. C'est le désir du risque mental, c'est-à-dire la faculté de bâtir une hypothèse audacieuse (dont Platon a déjà parlé) et de faire dériver de cette hypothèse sa morale. Tous les grands réformateurs étaient guidés par une idée quelconque d'une meilleure existence pour l'humanité, et bien qu'il fût impossible de démontrer mathématiquement qu'une transformation dans la direction indiquée fût désirable et possible, le réformateur, étroitement apparenté à cet égard à l'artiste, consacrerait toute sa vie, toutes ses capacités et toute son activité à l'œuvre de cette transformation. "L'hypothèse, écrit Guyau, produit pratiquement le même effet que la foi, engendre même une foi subséquente, mais non affirmative et dogmatique comme l'autre... Kant a commencé en morale une révolution quand il a voulu rendre la volonté "autonome", au lieu de la faire s'incliner devant une loi extérieure à elle; mais il s'est arrêté à moitié chemin : il a cru que la liberté individuelle de l'agent moral pouvait se concilier avec l'universalité de la loi... La vraie "autonomie" doit produire l'originalité individuelle et non l'universelle uniformité... Plus il y aura de doctrines diverses à se disputer d'abord le choix de l'humanité, mieux cela vaudra pour l'accord futur et final." Quant à l'argument de l'idéal "irréalisable", Guyau y répond dans des lignes pleines d'inspiration poétique. Plus un idéal est éloigné de la réalité, plus il est désirable; et comme le désir de l'atteindre nous donne la force nécessaire pour cela, il dispose d'un maximum de puissance.

    Une pensée audacieuse, qui ne s'arrête pas à moitié chemin, amène une action également puissante. Les religions disent : "J'espère parce que je crois et que je crois à une révélation extérieure." En réalité, écrit Guyau, il faut dire :Je crois parce que j'espère, et j'espère parce que je sens en moi une énergie qui doit entrer en ligne de compte dans le problème... L'action seule donne la confiance en soi, dans les autres, dans le monde. La pure méditation, la pensée solitaire finit par vous ôter les forces vives. “

    Voilà ce qui, pour Guyau, remplace la sanction, c'est-à-dire une affirmation d'en haut, que les défenseurs de la morale chrétienne ont cherchée dans la religion et dans la promesse d'une vie d'outre-tombe meilleure. D'abord, c'est en nous-mêmes que nous trouvons, l'approbation d'une action morale, car notre sentiment moral, le sentiment de la fraternité, s'est développé chez les hommes depuis l'époque la plus reculée de la vie en société sous l'influence de ce qu'ils voyaient s'accomplir dans la nature. Ensuite, la même approbation a sa source dans les aspirations, les habitudes et les instincts à moitié conscients, peu nets encore, mais profondément enracinés dans la nature de l'homme, être social. Pendant des milliers d'années, le genre humain tout entier a évolué dans cette direction, et s'il survient, dans la vie de l'humanité, des périodes où ses meilleures qualités paraissent oubliées, quelque temps après l'humanité recommence à tendre vers le même but. Et lorsque nous cherchons la source de ces sentiments, nous trouvons qu'ils sont enracinés chez l'homme plus profondément même que sa conscience.

    Pour montrer la puissance de l'élément moral chez l'homme, Guyau montre à quel degré l'aptitude au sacrifice est développée en lui et à quel point le désir du risque et de la lutte lui est propre, non seulement dans la pensée des hommes les plus avancées de l'humanité, mais aussi dans la vie ordinaire. Ces pages sont les meilleures de son livre.

    D'une façon générale, on peut dire sans crainte que dans son étude sur la morale sans obligation ni sanction religieuse, Guyau a exprimé la conception moderne de la morale et de ses tâches, telle qu'elle s'est formée dans ses esprits cultivés vers le début du XXe siècle.

    On voit, par ce qui précède, que le but de Guyau n'était pas de faire une étude complète des bases de la morale, qu'il voulait seulement démontrer que, pour s'affirmer et se développer, la morale n'a pas besoin de la notion d'obligation et, en général, d'une sanction extérieure. Le fait même que l'homme, s'il sent en lui les forces nécessaires, recherche dans sa vie l'intensité, c'est-à-dire la variété, devient pour Guyau un appel impératif à vivre précisément d'une telle vie. D'autre part, l'homme se trouve entraîné dans la même voie par le désir et la joie du risque, risque dans la lutte réelle et aussi risque mental (risque métaphysique, selon l'expression de Guyau); en d'autres termes, par le plaisir que nous ressentons lorsque, dans notre jugement, nous allons vers l'hypothétique et, dans la vie et l'action, vers ce que nous supposons seulement être possible.

    Voilà ce qui remplace dans la morale naturelle le sentiment d'obligation, qui existe dans la morale religieuse.

    Quant à la sanction dans la morale naturelle, c'est-à-dire l'affirmation de la morale par quelque chose de supérieur et de plus général, nous avons ici, indépendamment de toute affirmation religieuse, un sentiment naturel d'approbation des actions morales et une demi-conscience intuitive, une approbation morale, découlant de la notion de justice présente en nous et qui, bien qu'inconsciente, nous est inhérente; nous avons, enfin, une approbation de la part des sentiments d'amour et de fraternité, qui se sont développés dans l'humanité et qui nous sont propres.

    Telle est la conception morale de Guyau. Si elle procède d'Épicure, elle s'est fortement approfondie; au lieu de la morale du "calcul intelligent", nous trouvons ici une morale naturelle, développée chez l'homme en raison de sa vie en société, morale dont l'existence a été comprise par Bacon, Grotius, Spinoza, Gœthe, Auguste Comte, Darwin et, en partie, par Spencer, mais que ne veulent pas reconnaître jusqu'à nos jours ceux qui préfèrent parler de l'homme comme d'un être qui, quoique créé "à l'image de Dieu", est en réalité un esclave du diable, qu'on ne peut amener à refréner son immoralité naturelle que par le fouet et la prison dans la vie présente et par la crainte de l'enfer dans une vie future.

    Pierre Kropotkine

    L'Éthique (Éditions Stock 1927)

     

    traduction : Marie Goldsmith 

     

    Chapitre 13 (évolution des idées morales)

     

    1 : Mzyri est le nom d'un poème de Lermontov. Son héros est un jeune Caucasien, recueilli et élevé par les moines, qui, un jour, s'échappe du couvent, aide de liberté, et, s'en va retrouver la libre existence de ces ancêtres. Au bout de trois jours, blessé par un fauve, il est ramassé par son vieux protecteur. (note du traducteur)

     

     


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