• quand tu n'as rien

    Jean-Claude Leroy

     

    quand tu n'as rien

    que ton corps en otage

    un chemin qui vise à t'éreinter

    et les espions du royaume qui te poursuivent

    des yeux braqués sur tes moindres gestes

    sur tes vêtements transparents, sur les cadeaux que tu reçois,

    sur ce qui pourrait te garder la vie possible

    quand tu n'as rien

    que tu crois avoir droit à la moitié du minimum

    que tu te souviens « liberté, égalité, fraternité »,

    on t'a bien baisé, t'étais vraiment trop con

    l'école est un mensonge de flic et de prof

    la beauté ne vaut plus rien si tu l'éprouves

    ta collection n'a pas la cote

    tu n'investis jamais et tu te plains ?

    la récolte t'oublie, tes souliers sont troués

    la marche au soleil te cuit les os

    écoute pourtant le message de honte

    ne t'en prends qu'à toi, pas de mystère social

    la déchéance est un mauvais résultat

    tu ne manques à personne

    le monde est plein de tout ce remplissage

    prier conviendrait à la situation

    si tu avais la foi tu n'en serais pas là

    tu n'aurais pas rien

    que ton corps en otage

    sur un chemin qui se retourne déjà

    se recroqueville comme toi

    mange dans la main qui te frappe

    un corps humilié cent fois

    par les kapos du social

    concentration des humiliés entre eux

    les précaires, les Roms, les schizophrènes,

    fragiles résidus du royaume avare

    de forteresses en barricades les corps se divisent

    de vainqueurs en vaincus

    tu n'as pas faim, tu es gavé de mal,

    du pain rassis pour pauvres

    ou des goinfreries aux rabais qui te filent la chiasse et le cancer

    quand tu n'as rien

    tu te gardes ta maladie

    ça te réchauffe presque, et tu es nombreux,

    avec les malades, les agonisants,

    le sourire te reviendrait presque

    presque rien c'est bien assez

    tu n'es plus seul, la confrérie enfin

    à l'heure des trop tard

    des otages répartis sur des civières

    portés par des kapos dévoués

    des prolétaires

    derniers de la classe

    quand tu sonnais encore

    à la porte



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