• Quand Yves est au violon... (in L'Express, 28/08/1997)

    Martine Lachaud  Yves Teicher

     

     Le Wallon Yves Teicher n'a pas son pareil pour revisiter les mélodies.
    Fiddler on the Groove
    , son premier album solo, est un joli voyage sensuel

    Il joue sans mentonnière («Pour les vibrations») ni épaule, et parfois pieds nus. Son violon, acheté une bouchée de pain (parce que son vernis virait au noir) rue de Rome, la rue des luthiers parisiens, ne sonne pas très bien, mais «il a de la douceur et je l'ai modelé à ma patte», se défend Yves Teicher. A 35 ans, ce violoniste atypique fait son entrée dans l'écurie jazz de BMG France et sort son premier album en solo, Fiddler on the Groove, un panaché de créations personnelles (Hitch s'inspire de la musique contemporaine qu'il interprète; Ivry sur Seine, délicieusement tout blues, rend hommage à Ivry Gitlis, avec lequel il travailla), de standards classiques ou populaires (Les Yeux noirs, Feelings). Si l'on peut regretter quelques choix racoleurs (Paganini by Night) ou sans intérêt (Imagine, Ne me quitte pas), on est séduit par ces voyages sensuels en harmonie, en rythmique et en dissonance où Teicher s'empare d'une mélodie rabâchée pour créer une sonate personnelle qui irradie une émotion nouvelle (cf. Elucubrations dans les feuilles mortes). 

    Avec son look de rugbyman, Teicher est un Depardieu animé par la grâce de Menuhin et de Grappelli, un violoniste wallon également poète, comédien et concepteur de théâtre musical, viscéralement anticonformiste et rebelle à tout académisme. A 19 ans, il claqua la porte du Conservatoire royal de Liège, mais y obtint deux premiers prix: violon et musique de chambre. Comme Artaud dans Le Théâtre et son double, son livre de chevet, il voulait « en finir une fois pour toutes avec les chefs-d'œuvre ».

    Le conservatoire étant un « cimetière ambulant », le musicien, qui se qualifie d' « avant-garde » ou d' « évolutif », choisit alors l'école de la vie et la voie royale de la manche - il jouera néanmoins dans un groupe manouche, interprétera la 1re Symphonie de Schnittke avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam, fera la première partie de Ray Charles, etc. En proie à une crise quasi mystique, le rebelle abandonne la ville pour la forêt et vit en autarcie dans une maison où naîtra le premier de ses six enfants. «On se chauffait avec un poêle à bois, l'eau courait dehors et les toilettes étaient au bout du terrain!» se souvient Teicher. Il était violoniste; il devient bûcheron, jardinier, bricoleur. «Mais Nietzsche et Rimbaud m'ont aidé à croire en moi.» 

    Depuis son enfance dans une famille ouvrière peu commune, tout le disposait à être différent. Avec une mère amie de peintres et de jazzmen des années 50-60, un grand-père paternel juif roumain fasciné par le violon et l'âge d'or de la musique de chambre (Brahms, Beethoven, Schubert) et un père militant trotskiste, syndicaliste, anarchiste, fana de pataphysique et d'Alfred Jarry, c'était le cinéma permanent. Le mélange des cultures aussi.
    Aujourd'hui, Yves Teicher dit être allé au bout de toutes les souffrances de la musique. Il s'est affranchi de toutes ses techniques. Il lui reste à se faire plaisir et à nous enflammer avec ses improvisations aux multiples accents.

     


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