• Un danger, le silure Glane

    M. Lochu 

    Un danger, le silure GlaneUn danger est apparu sur les rives de la Mayenne : le silure Glane, poisson venu d’Europe centrale, menace l’équilibre démographique de nos eaux quiètes. Le silure Glane est un glouton qui dévore tout sur son passage, tanches, carpes, anguilles, rats, poules d’eau, canards… Sur terre, dans notre société avancée, enthousiaste, globalisatrice, il serait admiré, imité, plébiscité, or, voici que monsieur Bobard (sic), président de la Fédération de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique de la Mayenne, accuse la bêtise humaine (Courrier de la Mayenne 06/07/06) d’avoir introduit ce carnassier dominant dans les eaux de la Mayenne. Il y aurait donc une bêtise humaine !

    Un poisson originaire des cours d’eau alimentant les mers Caspienne et Baltique, donc pas franchement de chez nous… Une bestiole qui pourrait atteindre 2,50 m et peser plus de 90 kg, de quoi filer une belle frousse aux nageurs estivaux… Des pisciculteurs locaux en ont lancé l’élevage, pensant le vendre aux restaurateurs, mais sa chair est si peu goûteuse que le silure n’apparaît guère sur les menus des bonnes tables… Mais au fait, à quoi ça sert, un poisson ?

    Les pêcheurs savent bien le plaisir de passer leur temps libre hors de portée des récriminations diverses, des impératifs ménagers, du lessivage télévisuel ou autre loisir contemporain, quand le bord de la rivière offre sa tranquillité lénifiante, son flux intemporel. Le plaisir de ne pas avoir à se presser, de laisser faire le cours de l’eau… Car le poisson est avant tout l’alibi parfait de la paresse épicurienne des pêcheurs impénitents. Et quand les silures auront mangé tous les autres poissons, il deviendra plus difficile de justifier un pareil passe-temps arraché à la barbe des sociétaires surproductifs. D’où le haro sur ce barbare concurrent dont la gueule présente une paire de moustaches à la Tchétchène ! Au nom de la biodiversité, afin de préserver les anguilles, les sandres et autres fleurons de la rivière, les pêcheurs invitent à résister à la puissance destructrice exercée par ces voraces. La première consigne de monsieur Bobard est de ne pas appliquer le « no-kill » (sic), aucune prise ne doit retourner à l’eau, et les silures doivent être emmenés à l’équarrissage. Seulement à détruire le destructeur, on peut espérer recouvrer le bon équilibre d’antan. Un principe d’autodéfense agressive qui n’est pas sans rappeler la doctrine du célèbre docteur G.W. Bush.
    Enfin, si le silure a été classé, à l’unanimité des 52 présidents délégués de la Fédération de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique, dans les espèces nuisibles, ce n’est quand même pas pour rien !
    Et la bêtise humaine, nous direz-vous, a-t-elle été classée nuisible ? Bonne question, répondrons-nous, mais par qui pourrait-elle l’être ? Quelle est l’espèce habilitée à classer la bêtise humaine ?
    À propos, dans le Courrier de la Mayenne du 3 août dernier, on pouvait lire la réaction de pro-silures. Il y en a ! Des « chasseurs de poissons » qui aiment les sensations fortes. « C’est une pêche sportive qui nous procure de l’adrénaline et de l’émotion… » explique l’un d’eux, tandis qu’on apprend l’existence d’une Union nationale pour la protection du silure. Et là, on déduit que la situation est décidément compliquée, le problème trop sensible. Toujours ce vieux clivage qui oppose les chercheurs de sagesse, ici les pêcheurs débonnaires, aux guerriers en puissance, ici les accrocs d’adrénaline. Et les premiers doivent prôner la rétorsion pour protéger leur placidité, tandis que les seconds peuvent apparaître comme les gentils gardiens d’une espèce mal considérée…
    Dans cette histoire, chacun pourra évidemment remplacer le mot « silure » par le nom d’un capitaliste ou d’un homme politique de son choix, et verra que la vie des poissons est tout aussi passionnante que celle des humains, dont la bêtise ne vient que difficilement à bout. Perdre son âme d’enfant pour mordre un hameçon funeste, tel serait notre sort. Mais au fait, quelle était la question ?


     
    in Le Mouton fiévreux (4e trimestre 2006)


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