• Guy Cabanel, les sources perdues de la poésie

       Patrice Beray       Guy Cabanel

     La valeur d’une œuvre est en fonction du contact poignant du poète avec sa destinée.

    Pierre Reverdy

     ci-dessous : Dessin de Robert Lagarde pour Les fêtes sévères (éd. Fata Morgana, 1969).

    Guy Cabanel, les sources perdues de la poésieUne intensité absolue participe de la chute libre du vers, de la mobilité de la prose vers le langage rêvé qui joue à l’amour, à la mort.

    Ni passé, ni futur, les mots s’y essaiment en écueils érigés et seuls apparents, autour desquels les monceaux subsumés du réel tourbillonnent sans fin.

     Lire Guy Cabanel n’est pas retrouver la vie mais l’essence de la vie. Les Fêtes sévères, les Boucles du temps, Odeurs d’amours, Illusion d’illusions : l’œil ne juge cette poésie qu’aux brisants. Avec, pour l’oreille, ce quelque chose que le poète valéryen aurait ravi à la musique afin que s’enclenche un courant mental dont le verbe tout à coup saisit le procédé naturel.

     L’étrange tient à ce point à l’œuvre qu’il faille remonter le temps, son temps, pour en comprendre (imparfaitement) la genèse. Années cinquante, enfin année cinquante-huit, voici À l’animal noir. Un noyau de convergences actives, orientées dans l’éclairage obsidional du surréalisme d’André Breton, associe le peintre Robert Lagarde et Guy Cabanel. Profondeur tonale et oraculaire rendue avec force par la révélation de l’Autre, concédée par l’être entier en analogie avec le monde. Que soit retrouvée cette parole de tous les commencements, nul ne peut en douter avec l’Animal noir ; sous les symboles migrants, se dessine un modèle médiumnique sans précédent, une langue à l’état de pureté sauvage, rompue aux inversions de mots et aux dérangements successifs, qui se libère sur la pierre de touche de l’image.

    Le surréalisme a fait voler en éclats les termes de l’ancien paradigme. À son actif, il a su réorienter, habiter l’élan et l’imprint donnés, ici plus existentiel chez Rimbaud, là dans le creux laissé par le signe chez Mallarmé.

    Là où d’autres – et non des moindres – loin d’endiguer les menaces obsessionnelles du réel, n’entendront que le cri dans l’écho qui dure, ne verront qu’une présence désincarnée et l’infigurable où poser l’existence.

    Un piège de fureur et de désolation s’est resserré avec l’immédiat après-guerre ; si l’écriture fragmentaire de Char parvient à s’y lover, si Julien Gracq donne les somptueuses proses poétiques de Liberté grande, si Georges Schéhadé enjoint encore au lyrisme une innocence et une grâce renouvelées, les nouvelles explorations reviennent sans images des failles interstitielles de la langue et, passé le dernier cercle magique de la pensée où brillent et s’éteignent les êtres de parole, les repères les plus sûrs se volatilisent au ressac d’étoiles, dans l’amplitude mentale énoncée par Dylan Thomas :

    Amour, sommeil, mort, voilà l’unique plan.

    Bien sûr, c’est à l’écart que s’aventure le grand chemin.
    La nuit vous serre et vous étreint si fort parce qu’elle est dure, elle vous presse de toute part grâce au feu froid dont sa substance est animée,

          qui meut les épingles du sang,

          engendre les figures de l’eau,

          l’étincelle du givre.

          (À l’animal noir)

     

     André Breton donnera un accueil immédiat, éblouissant, à l’Animal noir. Nul souci de paraître plus qu’auteur présumé chez Guy Cabanel ; hors Maliduse corollaire à l’Animal noir (et les pièces d’une voix déjà évoquées), il collabore aux revues Le Surréalisme Même (en a-t-on rêvé plus belle ?), La Brèche, Bief.

    Vingt ans de retrait à la poésie, de silence, annoncent les récents recueils de Guy Cabanel. On songe aux poèmes dramatiques de Lenau, à la fluidité d’un air lancé, en lisant les cahiers (inédits pour la plupart) de Croisant le Verbe ; à Ono-No-Komachi pour cette fleur des sens, lotus d’orient qui s’ouvre au-delà du désir, avec les poèmes d’Au fil du temps, une idée de l’infini.

    Le visible semble davantage procéder de l’innommable, le chant s’y souvenir du rien.

    Une voix peut s’élever que l’on entende de toutes parts.

                                                

                                                                            Patrice Beray

     


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