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Dans la roue du Paon (extraits)
Par
jcleroy dans
Poésie le
27 Mai 2009 à 02:19
Guy Cabanel
PYRÉNÉES
Un petit vent
deux pies luisantes beautés
jettent un désir de netteté
sur les verts indécis de l’herbe
ou le gris changeant des nuages.
Un soleil vogue sur la mer bleu pâle,
miroir au-dessus des monts
avec des faims de neige,
œil rouge dans le bleu des eaux.
Quelques toits s’enfoncent
entre les collines de l’Ouest
au moment où la lumière balayée
lance une ultime rougeur
comme une cloche argentine
délivre le dernier son,
regret du monde qui s’éteint..
BROCÉLIANDE
Un miroir, quatre chemins,
du feu plein les mains
dans les jasmins des cris
perçants et doux
accourus des marches d’orient,
danseurs de corde.
L’oiseau arc-en-ciel
chante le coup mortel,
absurde note,
hésite entre trois versants
et quatre ailes plongent,
désormais plus que spectre.
Le mage entre deux nuages
pleure avec la pluie,
rit avec les quartiers de lune,
s’enivre dans la bouche de la fée,
d’un coup de vent bercé
s’éclipse derrière une feuille qui tremble.
Dans les nappes de l’eau,
tremblante émeraude à l’œil scellée,
passent les lignes courbes du sourire,
fugitives en filets de soie
ou moulées dans la hure du sanglier,
heureuses comme un chat ronronnant.
Bruits transis et sons fluets,
fruits d’automne froissés,
la nuit vous pousse dans le sang faiblissant,
ferme la porte des clairières,
ravit aux fleurs odeur et couleur
et de longues vagues chuintent dans les hanches.
Les troncs des chênes font
et défont le château
scintillant sous la fontaine.
Deux pieds de rosée ont laissé
un peu d’humidité
sur le rocher penché.
LAC BIWA
Calme des eaux et de la lune,
un point rouge, deux accents
sur l’ovale blanc intrus presque,
Murasaki écrit.
Face aux vagues de la nuit
que brutalisent deux flambeaux,
lanterne avide et lisse
se gardant de frémir.
Ah ! le sang bondit,
dieu dans la tasse fermée,
ah ! sur une tige
l’oiseau se tient encore !
L’encre d’une chevelure
s’est répandue sur le brocart,
un jonc de jade blanc
demain le nouera-t-il ?
Demain de grises nuées
auront chassé monts et rivières,
seul un arbuste sera là
avec une flamme éteinte dans les feuilles.
LA LOIRE
La voix sur une seule corde coule,
vibre sans fouetter le cœur,
roule comme une lenteur désirée,
suave joue entre mes mains étales
O fleuve, voix qu’on veut retenir,
qui soupire comme un sang calme
riche de prémonitions subtiles,
de nappes infinies de repos.
Et l’oreille vogue si loin
dans le charme bleu berceur,
oh quelle souffrance de quitter
ce vague qui me porte ailleurs.
Une langue longue
couteau teinte l’eau
d’orange morsure,
la forêt de vert l’amuse.
Une longue ligne force l’horizon
brisée sans ambages
emportant peurs et démons
sur l’écume pétille et choit.
À l’ombre des joncs doux siffleurs
tournant autour d’une rame,
oh ! porté dans l’eau maternelle,
pêcheur de songes veloutés.
Du doigt coupant le mur liquide
frôlant les ombres rapides,
planant sur le miroir,
oiseau des eaux dans mes yeux blancs.
Dans le courant les mots s’enfuient
roulant en mousse brune,
vont heurter d’étranges poissons,
fréquenter de mortelles sources.
Rares les ports, faibles les lumières,
peu de noyés reviennent,
balancement trop doux,
trop bleuissante grisaille.
Bondissant fier en cette mer
accroché aux boucles d’eau sauvage,
sapajou riche de coulantes barbes
je vogue comme un meurtre retenu.
Mais l’enchantement me porte
au-delà de troublantes écluses
en de vagabondes mains
oriental sur mon lit liquide.
Rêves de fous blessés
sous les ponts fléchissants
gorgés de pluie rose
et des voix froides de l’aurore.
Une feuille de menthe passe,
pourtant sans fin demeure
en palais de terre langue d’eau,
acier nonchalant.
Contre le bleu du ciel, rien
ou transparentes libellules.
Élans inaudibles,
comblez ces moments cruels !
Bûche dans un coin calme
je veux à peine léché de vent
voir le soir poser son indigo
et la nuit ses branches mouillées.
HOUANG HO
Pauvre hère sur la terre désolée
d’un pas hasardeux cherchant à boire,
famélique et sans voix
sur la peau dure et sous l’œil morne
du géant noir, immobile et froid,
À force de heurter squelettes et rocailles,
à force de mourir de soleil et de gel,
de traîner un visage érodé et mâché
comme un lanterne éteinte,
de voguer nu dans la glace,
Pierre, pierre d’eau déchirée
avec de belles veines irisées
et des cavernes affamées,
tu roulais, te cassais
et quelque molle proie te nourrissait.
Mais la gloire solaire coule, coule
à travers les soieries du ciel
sur la lande burinée, pétillants vaisseaux,
courroux sur les ventres tendres
que l’os menace de saccages.
Les plaisirs de l’eau s’imaginent :
s’enrouler dans un murmure,
sur de glissants galets ou des herbes mouillées
sauter comme un batracien,
être ténor donnant son cœur au fond des gorges.
Laisser courir la fleur d’avril,
bondir sur elle à coups de dents,
un bras qui rame, un bras qui rit,
les joues remplies de graines rousses,
la tête qui erre en forme de chacal.
De vains oiseaux depuis longtemps
scrutent tes maigres flancs,
craignant ta faim,
tes yeux voraces qui luisent
de tout le sang qu’ils ont rêvé.
Orgies, festins de têtes,
amères parfois sous des peaux craquelées,
agacent ta mémoire vierge,
ah ! tu dégusterais des langues d’oies
et des culs d’oisillons.
Mais le sol à chaque heure dérobe
un peu du bonheur de l’écraser,
peut-être las laisse bleuir
sur de riantes roches nues
la chatouille de ton pied liquide.
Sur la frange du rouge désert,
que d’eau, que de feuilles,
ton couteau trancha de molles falaises,
ta bouche fomenta d’épais brouillards,
crachant fleurs, mouches et fourmis.
Une strie de vert léger,
trace d’un fouet vite,
passe entre l’herbe et le feu,
tiens, que fais le feu dans cette barque ?
oh, boire avec les animaux !
Au bas de la montagne à l’envers
l’œil attire les fous.
Au fond plus d’œil, pas de fou,
un miroir ou de l’eau,
sûrement rien.
LES EAUX DE SPIRE
Sur ma barque j’ai troué
bien des ors et des nuits,
passé des murs de ténèbres,
des cascades de soie.
Je vogue sur des eaux bleutées,
aimé de douces Walkyries,
porté dans la spirale pâle
de leur chant parfumé.
Escorté du reflet des chimères
cachées sous les angles du ciel,
le fleuve aux berges lointaines
me conduit vers un or naissant.
Je n’irai pas mourir dans la mer,
mon port est proche de la Lorelei,
je partirai sur un nuage court
fouiller ses cavernes, sa voix.
Sous la porte blonde près des saules,
sous la volée des cloches en fleur
la corps enduit de caramel,
acclamé des oiseaux je passerai
Cuirassé de lumière écaillée,
aux mains une pique de vent noir
détournant les dieux douteux
et les couteaux rampants de tristes sauterelles,
Hôte de la bulle d’air affolée
dans l’éblouissante lune
danseuse au bout de la forêt
aux errantes flammes chevelues.
CORNOUAILLE
Vire le vent vert
cri désolé dans les genêts
aile blanche effacée déjà.
J’ai dressé la pierre emplumée
défiant mer et soleil
avec des yeux pleins de mort
le crachin, lune à boire,
blême joie de la peau,
oh voici : des langues s’élèvent.
Sur le sol ombres joueuses
aux finesses d’herbe
lisse, noire et parfumée.
Plus fou que l’océan,
jeté contre les amers
ou comme un galet caressé
Errant nuage sur la lande,
trompe sans souffle,
appel de lugubre bouche,
le grand corbeau blanc plane
au ras de la terre morbide
affamé de braises nocturnes.
Allons festoyer dans la tempête
affalés sur la côte sauvage,
servis par des licornes nues.
Et puis dormir du gris sommeil
dans le roc au ventre glacé
que saoule le vent.
CARPENTARIE
À travers trois miroirs,
façon de se glisser
entre les hasards épais.
L’eau de verre livre
en ses tréfonds des forêts
agitées de vents imaginés.
Dans un passé à côté
à pas feutrés, à nage vaine,
trou d’air dans l’eau.
Reptile à chaque pas
en tous cas intrus
en ces lieux pathétiques.
Museau deviné frémissant
sous les feuilles pourries
vieux vêtements tachés.
Soleil absent, lune ailleurs,
les dieux laissent
l’être sans yeux.
Retour sans chemin
introuvable fleuve
perdu dans la nuit des temps.
TRÉBIZONDE
Ne t’en va pas,
mais dans quel monde
irais-tu, feuille
plissée d’une paix
soufflée sous le vent doux ?
Une blonde asiatique,
dame des airs balance
entre l’azur et l’émeraude,
ravie de tâter l’onde,
entre ses mains précieuse pluie.
Surgie du brouillard de sinople,
rouille d’une antique aurore
sage sur les sables rampants,
luxuriance évanouie
dans les clameurs d’astres morts.
Dans quels méandres
belle onde vas-tu filer
les sévères destinées
à tes lumières incendiées,
froides étoiles du matin ?
Dans les pistes étoilées
de mes bras choyés d’étés,
les bouches du monde d’amour,
le vertige qui s’étale à travers mes mains
et s’en va fou et fou.
O purpurine mémoire
sous les décombres murmurants
ta voix de soie mordorée
meurt des rouges éclatants
des soirs émerveillés.
Ce soir blanc comme les autres
flotte au bout de la mer
et les chats violets
hôtes d’une nuit d’orgie
effacent l’ascétique lune.
Et la ville sous de sèches eaux
frisées comme un tango borgne
en taches brunes s’effiloche,
s’étire dans les coups de vent venus
de l’improbable désert.
Pourtant le sable gagne
les bois dormants,
les fenêtres azurées
qui s’ouvrent sur le cœur,
la coquille au bout de la vague.
Une ligne blonde et ondulée,
cheveu de brume ou trace de fumée
autour de la colline effondrée
d’orients hésitants roule les fleuves,
ô riches voluptés que la déesse laisse !
LES MARAIS DE PINSK
La ville mouvante de Pinsk,
vague sur la lande incertaine,
si lointaine.
Pâteuse mer, la mort
avec ses plus beaux verts
me charme avec des vers
et de tendres noix d’orient
Accompagnant une cantate de Bach
de ses bras nus
les cheveux blonds trop sages.
Je suivrai la musique du Pripet
couvert de blanches libellules,
descendrai dans le noir insensible
gagné d’une douce léthargie
et vous, faces effacées,
Vous me parlerez sans voix,
nous naviguerons en terre humide
avec nos yeux sans vue,
guides prophétiques.
Le jour toujours un peu teinté de nuit,
les ors de gris,
messagers légers
dans le furtif crépuscule
et la brise qui mouille la lune.
En un concert affamé
de loups et de lueurs
plongeant tête baissée
j’ai rencontré tes lèvres suaves
et dans ta bouche j’ai
appelé la pluie.
Mais sais-tu, il n’y a plus de havres,
plus de hamac où bercer un astre,
déjà pris dans tes rets pathétiques,
que d’abîmes, que de peurs,
que de fureurs éteintes.
L’hiver a brisé
dans son bois mort ma vieille vie,
guerrier cuirassé de triste argent
Sans muscles ni chemin,
errant sans trouver jamais
jamais de proie pour sa pique
ni d’horizon pour sa visière
ni de belle pour son foudroyant amour.
Pâle et couchant soleil
grave comme un coup de gong
sur la montagne abandonnée
ou dans la cage où bat le cœur
pour des années oublié
À longues enjambées étouffées
dans l’orchestre de boue
où les sons et les sens un à un s’échappent
sous des océans sourds,
tâtonnant vagabond
en quelque mirage chu
je parcours ce monde vague.
Guy Cabanel
in Portrait de l'éditeur en montreur d'ours : Patrice Thierry
Les Amis de L'Éther Vague, 1999.
Dans la roue du paon est paru dans une très belle édition
en 2009. Voir le site de l'éditeur : Les Hauts-Fonds
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